Justice divine, justice inique ?
(La justice est le fondement du pouvoir)
Il est des vérités dites absolues. Des vérités qui s’appliquent à tout temps, en tout lieu et à tout contexte. Des vérités qu’on retient une bonne fois pour toutes et qu’on souhaiterait voir se traduire en termes concrets au quotidien.
Acte I
Il y a longtemps, dans la page internationale du journal télévisé d’alors un reportage de quelques secondes portait sur un pays où régnait le chaos. Quoique fut brève la relation, le contraste fut relevé par quelques téléspectateurs avertis entre le commentaire en français, les troubles, objet du reportage et le message inscrit en belles calligraphies arabes au fronton d’une grande institution sur lequel se fixait l’objectif de la caméra pour y mettre un terme : « Al adlu assaassul mulk » (La justice est le fondement du pouvoir).
Acte II
Par la magie d’une application bien connue des réseaux sociaux, le monde entier a pu suivre cette séquence d’un film digne du Western. Dans un lointain pays du sud asiatique deux agents des forces de l’ordre s’acharnent avec une violence inouïe sur un bonhomme. On ne sait quel péché capital il aurait commis mais la rage et la cadence des forcenés munis de matraques qui sollicitaient aveuglément toutes les parties de son corps finirent par l’envoyer à terre. Stoïque, il se ramassa et parvint à se relever sous l’avalanche de coups de tous ordres. La foule interdite assistait en spectateurs médusés. L’instant de reprendre ses esprits et de se dégager de son écharpe, d’un coup de pied, tel Bruce Lee, il envoya l’un les quatre fers en l’air, et saisit l’autre qui cherchait à lui casser la figure par l’avant-bras. Aucune peine à le soulever jusqu’à hauteur d’homme pour le projeter. Celui-ci dut son salut à l’intervention de deux hommes qui le reçurent par les pieds. Dans un second mouvement énergique il lui tailla l’uniforme en pièces par une saisie au collet qu’il enchaîne avec une prise au coup de la main gauche qui immobilisa l’agent hors de combat à l’horizontal, avant de l’assommer par un coup de point de la droite au niveau du thorax. En toute complicité, le klaxonnement sec d’un des véhicules de la circulation déjà congestionnée s’éleva comme pour sonner le glas du combat. Alors, d’un pas hésitant, quelques volontaires de la foule de curieux impassibles qui s’étaient agglutinés à l’écart s’avancèrent pour aider les deux agents à se relever, un rictus malicieusement dissimulé au coin de la bouche. Bien malmenés et le regard hagard, ils furent traînés cahin-caha vers une destination qu’on n’aurait pas trop de mal à deviner.
Acte III
Minneapolis. 25 mai 2020. Ce point du globe perdu dans le Minnesota est tristement connu pour un meurtre en direct. En ces temps de soleil printanier, la pandémie du Covid-19 n’a pas encore desserré l’étau obligeant la population mondiale à se terrer et à se taire chez elle que la police américaine en rajoute en étouffant en live… un homme en chair et en os.
La vidéo de l’interpellation suive du meurtre de George Perry Floyd, un Afro-Américain de quarante-six ans est filmée par des passants et devient virale en un rien de temps. La victime décrite comme paisible de nature, ce qui lui a valu au basket le surnom de « gentle giant » (« doux géant ») selon un de ses amis d’enfance, n’avait apparemment aucune notion des rudiments du self-défense.
Grace à la sagacité de quelques passants témoins, les images se propagent sur les réseaux sociaux, puis dans les médias, à l’international. L’horreur est à la limite de tout ce qu’on peut qualifier de surréaliste. Elle est filmée à la verticale et l’exaspération est à son comble quand on apprend par ailleurs que le meurtre est perpétré par des gradés de la police, un officier appuyé par deux de ses collègues qui l’ont aidé à pratiquer un placage ventral et à le maintenir au sol. « Ames sensibles s’abstenir ». Commence alors la mise à mort. Nul besoin d’ingéniosité pour ce faire. Ils recourent à une technique bien connue des fauves, dans la jungle : la constriction, la strangulation.
Floyd est allongé sur le ventre et est solidement immobilisé sur le bitume, l’un agenouillé sur son dos et l’autre sur ses jambes. On ne s’y prendrait pas autrement à l’abattoir. Aucunement perturbé par les cris d’orfraie des passants, son bourreau appuie avec le genou sur le cou de George. Le calme et la sérénité du policier blanc à l’œuvre ne souffrent de l’ombre d’aucun doute. Les mains dans la poche, il s’applique minutieusement à exécuter sa sale besogne. « Arrêtez, arrêtez », se mettent à crier et supplier les passants ; il est impavide et continue à exercer la pression du genou. Floyd étouffe et crie sa suffocation : « I can’t breathe. » Please. » (« Je ne peux pas respirer. S’il vous plaît. »). Il se meurt. On le voit saigner de la bouche en râlant : « I can’t breathe. ». L’agonie s’étire, s’allonge, et se prolonge en 9 longues minutes interminables (8mn 46s). Floyd gémit et appelle toujours à l’aide. En moins de cinq minutes, il répète seize fois qu’il ne parvient pas à respirer : « I can’t breathe. ». Insensible, le monstre exige de lui de se calmer, faisant basculer de plus belle tout son poids sur le genou.
Floyd devient immobile, son corps inerte est sans doute abandonné par le souffle. Pourtant le monstre maintient encore son genou sur le cou du cadavre jusqu’à la venue des secours, soit pendant deux minutes et cinquante-trois secondes. Aux passants qui alertent sur son immobilité et demandent que son pouls soit pris on demandera de « circuler » ou de se tenir à distance comme pour dire : « Rien de grave». Un assassin né. Plutôt une horde de meurtriers, de tueurs de sang-froid.
Ces trois scènes qui se passent à un moment et à des endroits différents ont en commun des exactions et atrocités dont les auteurs sont ceux qui au demeurant sont censés défendre les populations. La pire des indisciplines est celle de forces de l’ordre qui n’ont rien de mieux que des populations désarmées comme champs de manœuvres.
Pendant presque un mois le crime crapuleux ravit la vedette à la pandémie du corona virus. Des médias internationales aux chaumières en passant par les radios et télévisions de la place, l’actualité du jour devait s’ouvrir par. Chacun y va de son commentaire. Des sachants aux moins avertis le sujet fut passé sous toutes ses coutures. Il ne laisse personne indifférent. Un temps, l’émotion cède place à l’analyse. Certaines chaînes plus entreprenantes prirent l’initiative d’inviter des spécialistes de l’image, de l’art visuel et même des sciences criminelles pour comprendre le mobile du crime. Les images vues et revues, décryptées sous tous les angles par les novices comme les spécialistes, tous conclurent à : de l’arbitraire. Un meurtre. Un homicide volontaire sur fond de racisme. Quatre gaillards non formés aux techniques d’interpellation auraient facilement pu maitriser un homme, surtout que celui-ci ne cherche ni à se défendre, ni à s’échapper encore moins à opposer une quelconque résistance.
La police de la première puissance au monde tue en directe au nom d’une loufoque question de race. De surcroît au 3e millénaire. On est quand même loin, très loin du paléolithique, l’âge de la pierre taillée. Survivance des gênes de l’aïeul Caen ? L’acte horrible fait peur et fait réfléchir en même temps. Si la police américaine ose tuer en public et sous les caméras, à combien devrait-on estimer le nombre de crimes passés hors caméra ? Quel est ce droit qui devait régir les relations entre Noirs et Blancs pendant les centaines d’années de lutte pour les droits civiques ? Que devait-être le régime auquel étaient soumis nos parents durant les heures sombres de la colonisation et de l’esclavage ?
Les réactions se suivent et s’enchaînent. D’abord aux Etats-Unis. La colère des manifestants devient incontrôlable. On casse, on brûle, on pille. C’est le chaos. L’Amérique se fait découvrir sous un autre visage différent de la puissance et de l’hégémonie. Un géant aux pieds d’argile. Peut-être non, mais comme toute nation, les grandes puissances aussi ont leurs points de fébrilité qu’il ne faut pas toucher. Certaines questions font partie du ciment des nations. On a plus intérêt à les enfouir et à les ensevelir qu’à les déterrer pour les exhiber au grand jour. Est-ce possible du reste dans un village planétaire ? A vouloir analyser la question du racisme aux Etats Unis on entre dans une sorte d’engrenage sans fin où l’Amérique perd de sa superbe et au-delà des frontières du nouveau continent, bien d’autres pays qui devaient avoir d’autres chats à fouetter si la vie de George Floyd était épargnée vont accuser le coup.
L’assassinat de G. Floyd est-il un fait isolé ? Que non. Le scénario est assez identique des cas de Rodney King, Eric Garner… La réponse réside en un faisceau de paramètres à tirer du passé pour illustrer le présent et éclairer l’avenir. A tous les coups ils finissent par défaire le prisme à travers lequel les Etats Unis sont perçus à l’extérieur. Alors qu’on les appelle questions sensibles ou tabous, le réalisme voudrait qu’on s’y arrête pour les examiner résolument pour ne pas qu’elles ressurgissent demain sous des formes imprévisibles et insaisissables. Pourquoi cette fracture abyssale entre Noirs et Blancs aux Etats Unis d’Amérique au 21e siècle ? Pourquoi la communauté noire américaine n’arrive même pas encore à trouver une nourriture de qualité suffisante ? Le Noir aux USA peut-il réussir par autre chose que par l’industrie de la musique, du sport, de l’Entertainment, du spectacle en somme ? Pourquoi… ? La réponse selon nombre d’observateurs comme ceux qui sont concernés par cette floraison de questions consiste à se préparer en conséquence et faire un choix éclairé à la date butoir de novembre prochain, pour élire le candidat qu’il faut à la maison blanche. Soit.
Hors des frontières des Etats Unis, la fièvre devient contagieuse et gagne les autres continents où l’onde de choc se répercute. De Londres à Sidney en passant par Madrid, et Paris les populations réagissent, condamnent et manifestent leur désapprobation, en dépit des mesures de restriction des libertés qui s’imposent pour la circonstance. Le slogan « Black lives matter » (La vie des Noirs compte) est repris en chœur, sur les affiches et banderoles aux quatre coins du monde. Par soucis d’apaisement de la situation, plusieurs rassemblements sont tolérés mais non autorisés en pleine période de crise sanitaire. D’autres questions se greffent à la question du racisme de base, en fonction des contrées et des spécificités. La torture, le meurtre de manifestants pacifiques, les méthodes et techniques d’interpellation des forces de l’ordre, les statistiques ethniques, le déboulonnage de statuts immémoriaux, la rebaptisation des rues et avenues… La vie est finalement un tout indivis.
La soif de justice chez les hommes est inextinguible en ce siècle naissant et cette exigence est telle que la moindre injustice peut déboucher sur… la révolte ou la révolution. Le printemps arabe est parti d’une policière municipale imbue de son pouvoir qui a giflé un vendeur en public. Le pauvre quidam, illustrement inconnu n’a trouvé rien de mieux à faire pour laver l’affront que de s’asperger d’essence et de s’immoler sur les lieux. La bourrasque qui s’en suivit a balayé sur son passage le président Zine el-Abidine Ben Ali qu’on croyait élu à vie et secoué bien d’autres dattiers inamovibles du monde arabe. Qui aurait pu imaginer que la vie de ce pauvre diplômé sans emploi reconverti en marchand ambulant de fruits et légumes (activité constituant le seul revenu d’une famille de sept enfants), était liée au pouvoir de Ben Ali ? Ce geste de désespoir qui abrégea sa souffrance et mit un terme à ses rudes conditions d’existence poussera le rais à sortir du palais. Ce dernier laissera derrière lui une richesse insolente faite de tableaux somptueux, de lustres mirobolants, de lingots d’or et de liasses dont lui et sa famille en entier n’en auraient que faire.
De même il est quasiment impossible de vivre en autarcie dans ce village planétaire pour considérer certains faits comme relevant d’une question de souveraineté nationale. Si certains Etats n’arrivent pas à prendre position de manière claire par rapport à certaines questions, de plus en plus des groupes et groupuscules de toute obédience parviennent à se tailler une brèche dans les conditionnalités définies pour les gros marchés de l’industrie et de la macroéconomie et se faire entendre sur la question des droits de l’homme et des droits humains. Parallèlement la révolution du numérique offre à tout un chacun la possibilité de s’affirmer et par-delà, d’influencer dans un sens positif ou négatif.
C’est le sentiment le plus partagé à la lecture de ces quelques réactions sur la mort de George Floyd. En écho aux États-Unis, Omar Sy, la star du cinéma français appelle à « se réveiller » et à « dénoncer les violences policières » en France, dans une tribune publiée jeudi 4 juin dans L’Obs : « J’ai marché pour George Floyd aux États-Unis. Le nom de George Floyd en charriait bien d’autres en écho dans ma tête. Celui d’Adama Traoré, en France ». Omar Sy appelle de ses vœux une « police digne de notre démocratie », après les manifestations pour Adama Traoré dont la mort est « aussi injuste et indigne que celle de George Floyd. Je me réjouis qu’on en prenne conscience aujourd’hui, je me réjouis de voir des dizaines de milliers de personnes venues de tous horizons sociaux entourer de leurs forces les proches d’Adama Traoré, ses frères, sa sœur, Assa ». Il poursuit : « Regardons devant nous, ayons le courage de dénoncer les violences policières qui sont commises en France. Engageons-nous à y remédier. Ne soyons plus spectateurs d’un système violent ». Avant de terminer en appelant « au changement, à la remise en cause d’un système qui ne peut prétendre à la justice sans mettre fin à l’impunité organisée qui sévit depuis des décennies ».
A la suite du comédien français, Augustin Senghor un (citoyen écolo-humaniste goréen) pose le cas George Floyd en balançant entre liberté et égalité (Cas George Floyd : Libres et égaux, vous dites ?) : « Nous ne vivons pas libres et égaux non plus. Il suffit de naître et de vivre assez longtemps pour le comprendre. Tout au plus, la liberté et l’égalité sont-elles des aspirations en forme de viatique pour tout homme qui veut donner un sens à sa vie à travers un accomplissement individuel ou collectif. Mais hélas, dans une vie, on ne peut compter le nombre de fois, le nombre de situations où, con-traints plus souvent que par notre volonté propre, nous sommes obligés de renoncer à la liberté ou de subir les manifestations les plus affreuses de l’inégalité et de l’intolérance entre les hommes. Il en sera ainsi aussi longtemps que nos différences seront comprises comme une source de discrimination (supérieur vs inférieur) menant au déni souvent violent de l’autre plutôt que comme source de complémentarité et d’enrichissement mutuel entre les Peuples au nom de l’égale dignité entre les hommes. Peut-être serons-nous libres et égaux une fois morts, même victimes de la violation de nos droits et libertés ? ».
Le Congrès de la Renaissance démocratique, et le Front de Résistance nationale (FRN) joignent leurs efforts à leur tour pour dénoncer la «liquidation publique» des Afro-américains, devenue une «routine inacceptable» aux Etats-Unis. Cette plateforme de l’opposition au Sénégal a adressé une lettre de protestation à l’ambassadeur des Etats-Unis à Dakar pour dénoncer la mort de George Floyd : « L’horreur que vient de perpétrer, une fois de plus, un policier américain aux Etats-Unis d’Amérique nous conduit à vous adresser cette présente lettre de protestation, destinée à attirer l’attention de l’Exécutif américain sur les violences répétitives dont sont souvent victimes les frères et sœurs africains-américains, et aujourd’hui encore», exposent-ils à l’endroit de Tulinabo Mushingi.
Le CRD estime que la «liquidation publique» de Georges Floyd «n’est pas qu’une simple bavure policière de plus», «elle devient une routine inacceptable que nous dénonçons avec force. Elle ne relève pas non plus d’une question de souveraineté nationale ou de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat qui devrait nous dissuader d’interpeller le gouvernement américain. Elle n’est pas enfin une attitude observable chez tous les Américains. Bien au contraire. Les multiples et récurrentes manifestations sur le sol américain, chaque fois que de tels actes ignobles sont perpétrés contre les Africains-américains, montrent une ferveur populaire unissant Noirs et Blancs dans un élan de pure fraternité et de solidarité, déterminés à combattre l’inacceptable».
Enfin, le président ghanéen, Nana Akufo Addo, l’un des rares chefs d’Etat africains à parler du sujet, de réagir sur sa page Facebook en ces termes : « Les Noirs, partout dans le monde, sont choqués et désemparés par le meurtre d’un Noir non armé, George Floyd, par un officier de police blanc aux États-Unis d’Amérique ». « Il ne peut pas être juste qu’au XXIe siècle, les États-Unis, ce grand bastion de la démocratie, continuent de s’attaquer au problème du racisme systémique ». Il conclut : « Nous espérons que la mort malheureuse et tragique de George Floyd inspirera un changement durable dans la façon dont l’Amérique affronte les problèmes de haine et du racisme ».
La comparaison de ces quelques réactions sur la mort de G. Floyd au célèbre discours « I have a dream » tenu par le pasteur Martin Luther King le 28 août 1963 à Washington, donne l’impression que le monde n’a pas avancé depuis, ou que pendant plus d’un demi-siècle l’humanité n’a fait que du sur-place.
« Il y a un siècle de cela, un grand Américain qui nous couvre aujourd’hui de son ombre symbolique signait notre Proclamation d’Émancipation. […]
Mais, cent ans plus tard, le Noir n’est toujours pas libre. Cent ans plus tard, la vie du Noir est encore terriblement handicapée par les menottes de la ségrégation et les chaînes de la discrimination. Cent ans plus tard, le Noir vit à l’écart sur son îlot de pauvreté au milieu d’un vaste océan de prospérité matérielle. Cent ans plus tard, le Noir languit encore dans les coins de la société américaine et se trouve exilé dans son propre pays.
C’est pourquoi nous sommes venus ici aujourd’hui dénoncer une condition humaine honteuse. […] Il est évident aujourd’hui que l’Amérique a manqué à ses promesses à l’égard de ses citoyens de couleur. Au lieu d’honorer son obligation sacrée, l’Amérique a délivré au peuple Noir un chèque en bois, qui est revenu avec l’inscription “ provisions insuffisantes ”. Mais nous refusons de croire qu’il n’y a pas de quoi honorer ce chèque dans les vastes coffres de la chance, en notre pays. Aussi, sommes-nous venus encaisser ce chèque, un chèque qui nous donnera sur simple présentation les richesses de la liberté et la sécurité de la justice.
Nous sommes également venus en ce lieu sacrifié pour rappeler à l’Amérique les exigeantes urgences de l’heure présente. Ce n’est pas le moment de s’offrir le luxe de laisser tiédir notre ardeur ou de prendre les tranquillisants des demi-mesures. C’est l’heure de tenir les promesses de la démocratie. C’est l’heure d’émerger des vallées obscures et désolées de la ségrégation pour fouler le sentier ensoleillé de la justice raciale. C’est l’heure d’arracher notre nation des sables mouvants de l’injustice raciale et de l’établir sur le roc de la fraternité. C’est l’heure de faire de la justice une réalité pour tous les enfants de Dieu. Il serait fatal pour la nation de fermer les yeux sur l’urgence du moment. Cet étouffant été du légitime mécontentement des Noirs ne se terminera pas sans qu’advienne un automne vivifiant de liberté et d’égalité.
[…] Il n’y aura ni repos ni tranquillité en Amérique jusqu’à ce qu’on ait accordé au peuple Noir ses droits de citoyen. Les tourbillons de la révolte ne cesseront d’ébranler les fondations de notre nation jusqu’à ce que le jour éclatant de la justice apparaisse.
[…] Mais il y a quelque chose que je dois dire à mon peuple, debout sur le seuil accueillant qui donne accès au palais de la justice : en procédant à la conquête de notre place légitime, nous ne devons pas nous rendre coupables d’agissements répréhensibles.
Ne cherchons pas à satisfaire notre soif de liberté en buvant à la coupe de l’amertume et de la haine. Nous devons toujours mener notre lutte sur les hauts plateaux de la dignité et de la discipline. Nous ne devons pas laisser nos revendications créatrices dégénérer en violence physique. Sans cesse, nous devons nous élever jusqu’aux hauteurs majestueuses où la force de l’âme s’unit à la force physique.
Le merveilleux esprit militant qui a saisi la communauté noire ne doit pas nous entraîner vers la méfiance de tous les Blancs, car beaucoup de nos frères blancs, leur présence ici aujourd’hui en est la preuve, ont compris que leur destinée est liée à la nôtre. L’assaut que nous avons monté ensemble pour emporter les remparts de l’injustice doit être mené par une armée bi-raciale. Nous ne pouvons marcher tout seul au combat. Et au cours de notre progression il faut nous engager à continuer d’aller de l’avant ensemble. Nous ne pouvons pas revenir en arrière.
Il y a des gens qui demandent aux militants des Droits Civiques : “ Quand serez-vous enfin satisfaits ? ” Nous ne serons jamais satisfaits aussi longtemps que le Noir sera la victime d’indicibles horreurs de la brutalité policière… Non, nous ne sommes pas satisfaits et ne le serons jamais, tant que le droit ne jaillira pas comme l’eau, et la justice comme un torrent intarissable ». »
Plus d’un demi-siècle après, ce fameux discours reste encore d’actualité, malgré des évolutions notoires comme l’élection de Barack Obama. On aurait tu la date, il résume la préoccupation de tous ceux qui se soucient du triste sort réservé aux Noirs américains. Martin L. King ne s’est pas contenté de dénoncer la ségrégation raciale sous toutes ses manifestations mais a indiqué des voies et pistes de solution telle que la réalité de l’histoire est en train de le prouver. Ce combat est à la fois le combat des Noirs et d’une bonne partie des Blancs convaincus de la justesse de la cause. C’est une question de justice sociale, de justice tout court.
Aucune forme de ségrégation basée sur la race ne peut être comprise de nos jours. C’est encore inadmissible d’en arriver à tuer au nom du même principe. La vie est revêtue du sceau de la sacralité. Chez tous les hommes elle est sacrée en dépit de leur race, de leur revenu ou de leur statut. Des bébés étouffés aux hautes autorités assassinées, elle est sacrée. Eu égard à cette sacralité, personne n’a le droit de s’en priver encore moins de l’ôter à un autre sans raison valable. Qu’on soit Noir, Blanc ou Rouge, une vie équivaut à une vie et représente en même temps le reflet de toute l’humanité d’après le Coran. Il en a été ainsi depuis le premier meurtre, commis par Caïn sur la personne de son frère Abel : « 5.32. Voilà pourquoi Nous avons édicté cette loi aux fils d’Israël : «Quiconque tue un être humain non convaincu de meurtre ou de sédition sur la Terre est considéré comme le meurtrier de l’humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière !».» (S. Maida).
Malheureusement, ce à quoi personne ne semble penser en pareille circonstance, c’est comment mettre en place un dispositif efficace pour empêcher l’injustice et l’injustice qui conduit au crime. Il n’y a pas deux solutions : La Justice. Une justice qui s’applique indifféremment aux hommes en dépit de leur sexe, de leur race et de leurs conditions sociales. Une justice qui s’applique à tous et qui applique la réciprocité du crime et de la peine. Au vu d’un contexte où le crime est de plus en plus banalisé, les hommes en sont arrivés à devoir recourir à la loi du talion « Œil pour œil, dent pour dent » pour assurer la pérennité de leur espèce et vivre en paix.
On peut être tenté de croire que ces prescriptions du Coran ne s’adressent qu’exclusivement aux croyants. Certes, il s’agit d’une loi immuable qu’on retrouve à travers toutes les religions révélées : « 5.45. Nous leur avons prescrit dans la Thora : vie pour vie, œil pour œil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Quant aux blessures, elles tombent sous la loi du talion.
2.178. Ô vous qui croyez ! La loi du talion vous est prescrite en matière de meurtre : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Si l’ayant droit consent une remise de cette peine au meurtrier, ce dernier sera poursuivi modérément et il devra s’acquitter du prix du sang avec empressement. C’est là une mesure d’allégement et de miséricorde pour vous de la part de votre Seigneur. Mais quiconque transgresse, par la suite, ce compromis sera sévèrement sanctionné.».
Cependant elles concernent les hommes de manière générale, compte non tenu de leur croyance ou de leur appartenance religieuse, dès lors qu’ils jouissent de la faculté de réfléchir et surtout de réfléchir sur les voies et moyens d’assurer la paix et la stabilité au niveau de chaque espace vital : « 2.179. La loi du talion constitue pour vous une garantie de vie, ô gens doués d’intelligence. ». (S. La vache). Ce verset vient immédiatement après le décret instituant la loi du talion et s’adresse suivant une forme interpellative aux « gens doués de d’intelligence », de raison leur permettant d’étudier et mettre en place les meilleurs moyens de vivre dans la paix et la tranquillité. Assurément la meilleure « garantie de vie » pour les hommes sur terre est la mise en pratique de la loi du talion.
Si les quatre assassins de George Floyd savaient qu’ils seraient immédiatement pendus haut et court en commettant le crime, ils n’allaient pas le tuer. Les tyrans les plus sanguinaires négocient en premier lieu la sauvegarde de leur peau à leur capture : « Ne me tuez pas ». Alors, de toute évidence, l’homme ne cherchant qu’à vivre davantage dans de meilleures conditions, le moyen le plus coercitif d’éviter le meurtre est de supprimer le meurtrier injuste.
La criminalité est en nette recrudescence dans tous les pays du monde et le rétablissement ou l’application de la peine de mort est et demeure la seule mesure salvatrice. Sinon face à l’impunité, les justiciables s’érigeront en justiciers parce que contraints et s’y mettront avec les moyens les plus rustres. C’est le désordre dans toute l’acception du terme. La justice est assez délicate pour être laissée à l’appréciation de mains inexpertes. Cependant pour suppléer à la carence de la justice, le bourreau sera livré à la vindicte populaire, et les risques de basculer dans la loi de la jungle seront plus que réels.
Pour une peccadille on tue, brûle, ébouillante espérant pouvoir s’en sortir sans coup férir. Les familles éplorées devront se résoudre à dénoncer et condamner, le meurtrier pouvant au pire des cas s’en sortir avec une peine de réclusion à perpétuité ; devenant du coup une charge supplémentaire à entretenir aux frais du contribuable. Il ne resterait alors aux premières qu’à ruminer leur colère, et se morfondre attendant le prochain crime.
L’insécurité dans certains pays est telle que la peur règne partout. On a peur pour sa personne, pour sa famille, pour ses biens. La peur devient une peur collective. Agressions, vols, crimes rançons sont le lot quotidien des populations qui ne savent plus à quoi s’en tenir quand les malfrats jugent que « tu mérites la mort parce que n’ayant trouvé aucun sou par devers toi ». Ces cas de vols, viols sont souvent soldés par une perte en vies humaines car les bandits armés n’hésitent jamais à ouvrir le feu. Que dire des milliers voire des millions d’hommes qui seront « confinés » dans la peur et la psychose d’être tués ou de perdre aussi cruellement un membre de leur famille ?
Deux semaines après la mort de George Floyd, la tension est montée d’un cran aux Etats-Unis après la mort d’un homme noir tué encore par un policier blanc à Atlanta dans les mêmes circonstances. Le décès de Rayshard Brooks survient le 12 juin alors que le pays et le monde entier sont encore secoués par une vague de protestations après le drame de Minneapolis. L’onde de choc n’aura pas la même répercussion non pas parce que les hommes ont perdu leur capacité d’indignation, mais ils sont gagnés par le syndrome. Et c’est là où réside le danger. En arriver à banaliser le meurtre ou à se familiariser avec étant obligé de le prendre comme facteur à intégrer dans son environnement immédiat.
D’ailleurs n’a-t-on pas connu pire ? Vendredi 15 mars 2019, un suprémaciste blanc a commis un carnage dans deux mosquées de la ville néo-zélandaise de Christchurch durant la prière du vendredi. Le sinistre bilan s’est soldé par 51 martyrs et autant de blessés. Le terroriste a perpétré l’attaque diffusant en direct sur les réseaux sociaux les images du carnage, où on le voit passer de victime en victime, tirant sur les blessés à bout portant.
L’insécurité gagne du terrain, dans les villes comme dans les campagnes. Des sites naguère considérés comme havre de paix, sont de moins en moins fréquentés. Ndèye Sélbé Diouf une écolière venue passer les vacances à Guédiawaye dans la banlieue dakaroise a connu une fin tragique en 2008. Elle est violée et tuée par un homme qui passe pour un déficient mental. En réponse au crime odieux, les populations se levèrent et mettent un terme à la vie du meurtrier, sans autre forme de procès. Madame le ministre de la famille et de l’enfance d’alors qui rapplique dare dare sur les lieux conclut « qu’il s’agit de la justice divine ». Même la famille du tueur tué semble se satisfaire de la sentence puisqu’elle n’aura jamais déposé une plainte. Dans les mêmes circonstances Bineta Camara a été tuée à Tambacounda à la suite d’une tentative de viol en plein Ramadan 2019. « La justice divine » ayant tardé à se manifester, l’assassin s’estimera heureux, un an après les faits, d’être condamné par la justice humaine, à la prison à perpétuité.
Même les forces de défense et de sécurité ne sont pas épargnées par la folie meurtrière. Le verdict a été rendu en même temps par le Tribunal de grande instance de Tambacounda dans l’affaire de l’assassinat du commandant Tamsir Sané. La vie de l’adjudant-major commandant de la Brigade de gendarmerie de Koum¬pentoum, a été abrégée par une bande de malfaiteurs qui se livraient au braquage du bureau de la Poste de ladite localité en juillet 2019.
La Chambre criminelle de Tambacounda a condamné 5 parmi les 7 accusés à la réclusion criminelle à perpétuité.
Ne pas infliger au criminel une peine proportionnelle à son acte c’est en soi encourager le crime. C’est l’encourager et encourager les potentiels criminels à faire autant, dès lors qu’ils savent que le risque encouru est bien moindre. Une simple peine d’emprisonnement n’a rien de dissuasif pour un criminel tant et si bien qu’il peut croupir en prison, guettant l’occasion d’être élargi ou gracié. Dans bien des cas l’effet de la prison est contreproductif parce qu’elle offre l’occasion de côtoyer et se frotter contre des gangs et criminels plus redoutables avant d’en sortir plus aguerris. Une fois élargi, le criminel se dissimulera dans la foule et inévitablement grossiront à la fois le rang des tueurs et celui des tués. Le moyen le plus sûr de mettre hors d’état de nuire un potentiel tueur c’est de brandir sur sa tête la mort comme épée de Damoclès. Du coup il ne tuera pas et en épargnant la vie de ses potentielles victimes, il épargne la sienne.
Ironie du sort, au moment de mettre la dernière main sur ce texte survient un autre meurtre. L’auteur se fait cyniquement appeler « Assassin » et le sobriquet lui colle parfaitement à la peau. Gracié il y a juste un mois (lors de la fête de Korité 2020) alors qu’il purgeait une peine pour meurtre, « Assassin » n’a pas mis à profit son séjour carcéral pour faire amende honorable. Dans la nuit du vendredi 03 au samedi 04 juillet, il a encore tué un jeune homme du nom de Matar Ndiaye, habitant aux Hlm en lui assénant plusieurs coups de ciseaux avant de prendre la fuite. Il est heureusement arrêté au moment où il cherchait à sortir du pays.
Pour mettre un terme définitif aux séries de meurtres qui secouent la planète, les hommes iront au-delà de simples discours pour marquer leur tristesse et désolation, chaque fois qu’un crime est commis délibérément. Ce ne sera pas non plus une simple peine d’emprisonnement qui dissuadera les malfaiteurs et bandits de grand chemin de continuer à commettre leurs méfaits. La vie n’a pas de prix. Elle est autant sacrée pour un oiseau que pour un chat, à plus forte raison pour un homme. Tuer inopportunément un homme est un crime contre l’humanité en entier. Avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans un monde où s’enchaînent les rapts, fusillades, braquages et leur corollaire, fera-t-on le choix d’inaugurer volontiers le règne sans partage des serial killers ? « Ala ya’lamu man xalaxa » (Dieu qui a créé ne sait-Il pas) ?
Mouhamed M. LOUM
Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale
Coordonnateur de l’association
Les Partenaires du Coran