La prorogation de la durée du mandat des membres du Haut Conseil des Collectivités territoriales est contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel a déjà rappelé, (Décision N°1-C-2016 du 12 février 2016), que la Constitution interdit formellement la prorogation ou la réduction de la durée des mandats politiques.
Pourtant, en vertu de l’article L.354 du Code électoral portant nouvelles dispositions transitoires adoptées par l’Assemblée Nationale le 12 juillet 2021, « Les élections des Hauts conseillers des Collectivités territoriales prévues en fin 2021 sont reportées pour être tenues après les élections territoriales. Le mandat des Hauts conseillers est maintenu jusqu’à l’installation du nouveau Haut conseil issu de ces élections. Un décret fixera la date ». En adoptant de telles dispositions, le Gouvernement et les députés ont oublié que le Conseil constitutionnel a développé une nouvelle jurisprudence sur l’immutabilité de la durée des mandats politiques et sur l’exercice du droit de vote. Cette ligne jurisprudentielle repose sur le principe suivant : la date d’une élection ne se décide pas en fonction d’une opportunité, mais du respect de la Constitution (Décision N°1-C-2016 du 12 février 2016) et « quelles que soient les circonstances », le droit de vote, garanti par l’article 3 de la Constitution, doit s’exercer (DECISION N° 8/2017 du 26 juillet 2017).
La confirmation de l’inconstitutionnalité de tout dispositif modifiant l’exercice des mandats politiques trouve son explication dans la portée élargie des exigences constitutionnelles et dans l’exercice d’un contrôle juridictionnel maximum développé par le Conseil constitutionnel lui-même dans le cadre de l’appréciation de la constitutionnalité de la réduction de la durée du mandat présidentiel de sept (07) à cinq (05) ans.
Aux termes de sa décision N°1-C-2016 du 12 février 2016, concernant la réduction de la durée du mandat présidentiel, plus précisément au considérant 32, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est impossible de proroger ou de diminuer la durée d’un mandat politique «quelles que soient les circonstances». Pour le Conseil constitutionnel, « Ni la sécurité juridique ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique, ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée.» Les députés outrepassent donc leurs prérogatives en autorisant une prorogation du mandat des membres du Haut conseil des Collectivités territoriales. Le législateur ne peut librement fixer cette durée sans violer les règles et principes de valeur constitutionnelle.
Il faut aussi rappeler qu’en vertu de l’article 17 de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel « – Si le Conseil constitutionnel relève dans la loi contestée ou un engagement international soumis à son examen, une violation de la Constitution, qui n’a pas été invoquée, il doit la soulever d’office ». Le Conseil constitutionnel, en vertu de sa décision N°1-C-2016 du 12 février 2016, doit soulever d’office l’inconstitutionnalité de l’article L.354 du Code électoral prorogeant la durée du mandat des membres du Haut conseil des Collectivités territoriales. C’est d’ailleurs, le lieu de signaler que, désormais, les prorogations des mandats politiques n’échappent à la censure du Conseil constitutionnel que dans le seul cadre des lois de révision constitutionnelle. Par ailleurs, reporter des élections sans date fixe est foncièrement contraire à la Constitution. L’inconstitutionnalité du report est ainsi manifeste et pourrait conduire à une déclaration de non-conformité car la situation n’empêche pas la prévision de la tenue des élections à une date fixe.
En conséquence, il importe de préciser que la manipulation de la durée des mandats politiques affecte principalement l’exercice du droit de suffrage des citoyens. Le peuple sénégalais souverain est de plus en plus privé du droit fondamental de renouveler ses représentants au terme normal, régulier et préalablement fixé de l’exercice de leur mandat, privation qui constitue un moyen de confiscation du pouvoir délégué par le délégataire. C’est pourquoi le juge constitutionnel soumet le législateur, désireux de prolonger ou de diminuer la durée des mandats politiques, au respect des exigences de l’article 3 de la Constitution du 22 janvier 2001 en vertu duquel le suffrage « est toujours universel, égal et secret ».
Sans réelle surprise, suite à la double saisine présidentielle (obligatoire) et parlementaire, le Conseil constitutionnel risque d’invalider le nouveau dispositif législatif modifiant la date d’expiration du mandat des membres du Haut conseil des Collectivités territoriales.
Mouhamadou Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur de droit public FSJP/UCAD