Grain de sel du sociologue (N5)
LE PROBLÈME DU SÉNÉGAL EST SOCIOLOGIQUE : LA
SOCIOLOGIE EST LE SALUT DU PEUPLE !
De ce que le problème du Sénégal (immobilisme dans tous les secteurs) est sociologique,
c’est-à-dire lié à notre mode de vie et à nos comportements de tous les jours, il s’ensuit
que la solution ne pourrait être que sociologique, c’est-à-dire liée au diagnostic
rigoureux de ce mode de fonctionnement de sorte à dégager des pistes devant nous
conduire vers une meilleure alternative sociale.
Ainsi l’on est en droit de s’interroger pour comprendre quel est le problème du Sénégal et
quel est ce mode de vie qui nous y installe ?
De prime abord, quels sont les problèmes du Sénégal ?
Le Sénégal est marqué par l’immobilisme dans tous les secteurs :
Le tissu économique : sous-développement, chômage de masse, sous-emploi et précarité de
l’emploi, économie à dominante informelle, classe moyenne pauvre, économie dépendante et
de rente (État qui vit de taxes issues de l’exploitation des ressources naturelles par des
multinationales), absence de souveraineté monétaire (monnaie coloniale) et financière
(politiques publiques sous le dictat des institutions de Breton Woods, notamment le FMI et la
banque mondiale). Nous importons ce que nous consommons et exportons ce que nous
produisons. Nous avons une économie extravertie qui fonctionne au profit de l’occident et à
notre détriment. Donc, nous produisons localement des matières premières qu’on exporte pour
ensuite acheter des produits de consommation transformés à l’extérieur et à partir de ces
matières premières. Résultat : sous-développement chronique.
Le champ politique : hiatus entre l’État politique et l’état social sénégalais, lois qui favorisent
l’accaparement du pouvoir et des deniers publics par une caste de politiciens privilégiés,
corruption endémique de l’administration publique, politique politicienne (politique comme
métier et non un sacerdoce), politique comme métier et source d’enrichissement illicite.
Résultat : un État inefficace et inefficient. La disharmonie entre l’État central et les groupes
partiels (ménages, quartiers, communes, corporations professionnelles, associations) en dépit
de la décentralisation, qui fait du Sénégal une sorte de « monstruosité sociologique ». D’après
Durkheim, une monstruosité sociologique désigne une société démographiquement
importante sans qu’il y ait cohérence d’ensemble entre ses groupes partiels et le
gouvernement central en raison d’une absence ou d’une mauvaise décentralisation.
En outre, après trois alternances politiques et plus de 60 ans d’indépendance, les plaintes sont
toujours les mêmes, les médias débattent des mêmes sujets, on dénonce les mêmes problèmes,
le front social se mobilise pour les mêmes doléances (inondations, chômage, pauvreté,
émigration clandestine, cherté de la vie, problèmes de l’hivernage, la campagne arachidière et
les problèmes d’accès aux semences et aux outils de travail, les conflits liés au foncier, etc.),
les mouvements sociaux et les activistes se mobilisent pour des mêmes thèmes de
revendications (fichier électoral, mal gouvernance, démocratie, clientélisme politique,
arrogance des gouvernants, etc.) Bref, tout n’est qu’un perpétuel recommencement.
Le champ social : transformations de la famille (recrudescence des divorces et crise des
attentes dans la famille), crise de la socialisation, modèle traditionnel de socialisation caduque
(exemple laabaan) et modèle formel non adapté par son caractère importé et non fonctionnel
(école comme exemple). Inflation scolaire qui se traduit par une école qui fabrique des
inadaptés sociaux (personne qui éprouve des difficultés à s'adapter à son milieu social, et qui
n'arrive pas à y vivre en harmonie et à y jouer son rôle normal).
Le modèle culturel : inadéquation des institutions aux valeurs et problèmes de la société, crise
des instances d’intégration (école, famille, travail), manque de projet de société,
indétermination de la conscience morale et absence de modèle culturel homologué (type idéal
de sénégalais que nous souhaitons voir). Résultat : des personnes culturellement
indéterminées et frivoles et une société culturellement influençable. Il semble difficile
d’identifier le sénégalais par son accoutrement, ses habitudes de consommation, ses modes
vestimentaires, ses gouts, son alimentation, son langage, etc.) Il est presque tout et rien à la
fois.
Quel est le mode de vie qui installe le Sénégal sur une situation pathologique chronique ?
Une société (organisation sociale, système social ou mode de fonctionnement, mode de vie)
qui n’est pas en harmonie ni avec elle-même (conformité à nos valeurs) ni avec son époque
(adaptabilité aux nouvelles réalités). Ce système hérité a toutes les caractéristiques du fait
social. Non seulement il s’est construit en dehors de nous, avant la naissance de la plupart
d’entre nous, mais il s’impose à nous, qu’on le veuille ou non. Pour le changer, il faut, par un
effort laborieux, travailler sur le long terme à installer un projet social alternatif qui soit en
harmonie avec nous-mêmes et qui soit adapté à notre époque.
Explication de l’origine du système : Après des siècles d’esclavage et des décennies de
colonisation, nous avons importé un État politique qui n’a pas été adapté à notre société (nos
besoins, notre histoire, nos mœurs et coutumes).
Ce système a donné naissance à un mode de vie et de fonctionner que nous avons hérité et qui
nous condamne à vivre et à survivre indéfiniment dans le statuquo. Ce mode de vie résulte de
pratiques qui sont en nous, qui relèvent d’expériences répétées. Et de ce biais, ces pratiques
tiennent de la répétition, et de l’habitude qui en résulte, une sorte d’ascendant et d’autorité sur
nous.
A titre illustratif, on peut citer les inquiétudes répétitives des sénégalais à chaque approche de
la Tabaski sur la disponibilité et les couts du mouton. C’est comme si c’est normal et accepté
par tous les sénégalais qu’à chaque approche de la Tabaski, il doit y avoir pénurie et cherté
des moutons. Ainsi, personne ne songe à trouver une solution durable à ce problème qu’on est
obligé de vivre à l’éternité.
Ce mode de vie et de fonctionner relèvent d’une organisation sociale qui fait du Sénégalais
une personne culturellement indéterminée et fait du Sénégal une société maladive et sous
perfusion permanente. Ainsi bascule-t-il la société dans une instabilité pérenne et chronique.
Si l’on peut parler d’une crise au Sénégal, ce serait une crise institutionnelle ou, pourrait-on
dire, une société atteinte de monstruosité sociologique. Cette maladie est liée à l’inadaptation
de ses institutions avec les réalités du milieu (sociologique et temporaire). Ce phénomène est
générateur de crise (anomie sociale) parce qu’il favorise la déception réciproque des attentes
sociales. Tout le monde est prêt à attendre de l’autre (finalités culturelles et attentes sociales),
mais rares sont préparés à accomplir les rôles (compétences et ressources) qui leur sont
assignés par la société. Ce qui rendra problématique les interactions sociales, par exemple
entre parents et leurs enfants, entre épouses et époux, entre les groupements qui composent la
communauté, entre enseignants et leurs élèves, gouvernants et leurs gouvernés, religieux et
fidèles, clients et vendeurs, employeurs et employés, etc.
Sous ce rapport, étant donné que le changement social ne se fait jamais rapidement, il s’ensuit
que pour changer la situation du Sénégal, telle que décrite plus haut, il importe de réformer le
système social. Ce changement du système social est primordial, mais il doit passer
nécessairement par des étapes, dont nous en proposons trois, qui sont :
1 e étape : lavage de cerveau : susciter une prise de conscience chez la masse par une
déconstruction intellectuelle de l’establishment (rôle des intellectuels, en particulier
les sociologues).
2 e étape : changement de comportements : nécessité de leaders exemplaires et
visionnaires pour inspirer un changement de comportements par l’adoption
progressive de nouvelles habitudes (nouvelles façons de faire, de consommer,
d’étudier, de commercer, de voter, etc.) et l’abandon d’anciennes habitudes.
3 e étape : Politisation qui consiste à institutionnaliser le nouveau projet social (leaders
politiques charismatiques).
Pour conclure, rappelons que tous les problèmes (économiques, politiques, sociaux, culturels)
du Sénégal se résument à un problème sociologique (mode de vie hérité, que nous avons
trouvé sur place, qui s’impose à nous, et qui est devenu une habitude de vie, bref un système
social ancré). Autant dire que nous avons des comportements sociaux (des façons de faire, de
penser, de sentir, d’agir, de gouverner, de voter, d’obéir, de consommer, de produire, de
commercer, de travailler, d’étudier, d’enseigner, de former, de jouer, de croire, de suivre, de
manifester, de lutter, de communiquer, de construire, d’occuper, de vivre, etc.) et des
institutions (des banques, des entreprises, une école, un tissu économique, un système
étatique, une monnaie, des médias, un système familial, des lois, des pratiques artistiques, une
justice, des tribunaux, des institutions sportives, un système de santé, etc.) qui nous installent
dans l’éternel recommencement (condamner à vivre les mêmes problèmes) et qui, pour ainsi
dire, ne sont pas compatibles avec le développement endogène et durable.
La seule issue heureuse demeure la révolution (changement de mode de vie). Et pour ce faire,
il faut un vrai projet de changement. C’est, semble-t-il, ce qu’Ousmane Sonko, l’actuel leader
de l’opposition, appelle changement du système qu’il considère comme étant la seule solution
pour sortir le Sénégal du gouffre dans lequel il est installé. Reste à savoir si le leader de Pastef
détient un vrai projet de changement du système : Est-ce qu’il a une claire vision du système ?
Est-ce qu’il connait les rouages du système ? Est-ce qu’il sait faire la part des choses entre le
régime politique actuel et le système ? Quelles sont les actions qu’il pose pour changer le
système ? Qu’est-ce qui le différentie des gens du système par son parcours, son discours et
son comportement politique ? Qu’est-ce qui différencie son parti politique des autres partis
politiques classiques, dans la structuration, le mode de fonctionnement et les pratiques
politiques ? Quelles sont ses motivations ? Quelle est l’alternative sociale qu’il propose ?
Quelle est la pertinence de sa vision politique ? Quel est le degré de faisabilité et de réalisme
de son projet politique ? Quelles sont les chances de réussite de son projet de changement du
système ? N’est-il pas en train d’épuiser toute son énergie contre un régime politique (un
gouvernement) sous prétexte de lutter pour un changement du système (un mode de
fonctionnement ancré) ? Renverser un régime politique suffit-il pour changer un système
social ? Comment compte-t-il changer le système une fois au pouvoir ? Quels sont les facteurs
explicatifs de sa popularité ? Qu’est ce qui explique l’attachement inconditionnel d’une bonne
frange de la population en la personnalité d’Ousmane Sonko, la jeune génération en tête ?
Quelles sont les caractéristiques sociodémographiques, socioéconomiques, politiques,
culturelles et confessionnelles des partisans et sympathisants d’Ousmane Sonko ? Changer de
président (alternance politique) suffit-il pour changer de système (alternative sociale) ?
Ousmane Sonko est-il la solution pour le Sénégal comme il prétend l’être et selon certains de
ses partisans ? Bien qu’Ousmane Sonko déclare lui-même que « le Sénégal n'a pas besoin de
messie ni de héros mais d'une masse critique de citoyens conscients des enjeux de l’heure »,
ses partisans ne le prennent t’ils pas comme un héros et/ou un messie ?
Notre réflexion s’arrête là !
Qu’à cela ne tienne, il semble vrai que la volonté de changement est visible chez la moyenne
des sénégalais, et cela explique en partie l’attachement inconditionnel d’une bonne frange de
la population en la personne de Ousmane Sonko. Cependant, force est de reconnaitre que cette
volonté de changement ne saurait se réaliser avec succès sans des intellectuels organiques
capables de déconstruire le système actuel et un leadership exemplaire capable d’impulser et
de porter cette dynamique pour un mieux-être individuel et collectif.
M. Cheikh Tidiane Mbaye, Sociologue, Responsable pédagogique club RMS