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Grain de sel du sociologue, PAUVRE SÉNÉGAL ! L’AFFAIRE KOUNKANDÉ COMME ÉNIÈME CONSÉQUENCE D’UNE DISHARMONIE SOCIALE

Date:

CLUB RMS GRAIN DE SEL DU SOCIOLOGUE N°6

Grain de sel du sociologue

PAUVRE SÉNÉGAL ! L’AFFAIRE KOUNKANDÉ COMME ÉNIÈME CONSÉQUENCE D’UNE DISHARMONIE SOCIALE

Le phénomène Kounkandé est un phénomène social normal au Sénégal. En réalité, c’est
la société sénégalaise qui est malade! Autant dire que tous les ingrédients sont réunis au
Sénégal pour produire des genres de phénomènes, à l’instar de l’affaire Kounkandé. Et
ce n’est pas la première fois qu’on assiste à de pareils faits divers au Sénégal. Beaucoup
d’évènements se sont passés au Sénégal et qui renseignent sur une société en perte de
contrôle et de sens de la mesure.
On peut citer l’affaire Cheikhou Chérifou, « l’enfant prophète » (Mai 1999), l’accueil
exceptionnel et triomphal de l’actrice indienne, Vaidehi à l’aéroport Léopold Sédar Senghor
(Janvier 2010). Eudoxie Yao et Diaba Sora, toutes deux respectivement stars en Côte d’ivoire
et au Mali en raison, dirait-on, de leurs formes généreuses, ont été accueillies par une foule
spectaculaire de sénégalais à l’aéroport de Diass (Septembre 2018). De même, nous avons
constaté dans le domaine du sport, de la politique et même de la religion des comportements
qui renseignement sur une société en perte de lucidité. On peut donner l’exemple de
l’engouement fou des sénégalais envers la lutte avec frappe dans ses périodes de gloire et
envers les lutteurs Modou Lo et Balla Gaye 2, l’attachement intransigeant d’une bonne frange
de la population, la jeune génération en tête en la personne de Ousmane Sonko, la montée du
fanatisme confrérique et du repli identitaire. A cela s’ajoute la tendance des sénégalais à se
laisser aller dans la vie courante, et en particulier dans les réseaux sociaux, sans parler de la
montée des téléfilms locaux (avec des scènes osées), l’émergence de nouveaux types de stars,
producteurs de loisirs et de faits divers, à l’instar de Pawlish Mbaye, Ouzin Keita, Adomo,
etc,.
La liste est longue, mais tous on ne peut plus clair témoignent de l’état désorganisé et, pour
ainsi dire, pathologique de la société sénégalaise actuelle, qui présente tous les caractères
d’une foule psychologique (laisser aller, perte de contrôle, naïveté, pensée unique et tyrannie
de la majorité, intolérance, extrémisme, fanatisme, désir de nouveauté, repli identitaire, etc.)
En conséquence, l’affaire Kounkandé n’est, à vrai dire, qu’une des conséquences de l’état
inharmonique et désorganisé de la société sénégalaise et, de ce fait, le résultat d’un hiatus
entre les sentiments que les gens éprouvent et les exigences de la société.
Autrement dit, nous avons une société de plus en plus émotive et en perte de lucidité en raison
d’une accumulation de manques et de frustrations répétées et à long terme. Cette situation fait

de la société sénégalaise une proie facile aux entrepreneurs de loisirs, aux rhéteurs, aux
vendeurs d’illusions et à toutes sortes de manipulateurs (médias, activistes, influenceurs,
religieux et politiciens).
Nous pouvons avoir l’impression d’assister à une tendance chez les masses sénégalaises aux
refoulements de besoins et de désirs de toutes sortes que la société ne donne aucune occasion
à leur satisfaction légitime. Aussi, faudrait-il préciser au passage que, même si la croyance à
l’invisible est une réalité culturelle et, pour ainsi dire, foncièrement sénégalaise, il semble vrai
que la conjoncture économique délétère favorise le succès des charlatans dans la société, et
cela en dépit des progrès de l’islamisation et l’entrée des outils de la modernité. Ainsi cette
conjoncture économique n’est-elle pas elle aussi le résultat de la disharmonie sociale au
Sénégal.
Voilà le modèle qui guidera notre analyse de la situation tout au long des lignes qui suivront.
Décidément, nous avions dit qu’il n’était pas nécessaire d’y consacrer un article pour ne pas
contribuer à l’entreprise de divertissement abusif et de rabaissement du niveau intellectuel des
masses, mais il se trouve que le phénomène s’est imposé par la force des choses. D’où le
problème. Donc, on va faire avec l’affaire Kounkandé de façon à en profiter pour éclairer la
lanterne de nos compatriotes sur ce que nous pensons être à l’origine de ce phénomène.
A travers le dernier « grain de sel du sociologue », nous avions procédé à un diagnostic global
de la société sénégalaise pour arriver à la conclusion selon laquelle le problème du Sénégal est
sociologique et que les sociologues ont du pain sur la planche pour aider les sénégalais à un
meilleur approfondissement de leur connaissance de soi de sorte à dégager des pistes pour
orienter vers le chemin véritable du développement endogène.
Nous pensons qu’une partie de l’explication de l’affaire Kounkandé se trouve dans ce dit
article. Ainsi suggérons-nous à nos lecteurs de revoir l’article pour nous éviter les redites.
Néanmoins, nous allons les résumer ici en les accompagnants d’autres éléments
d’explications pour montrer en quoi la société sénégalaise comporte tous les ingrédients pour
produire des genres de faits divers, à l’instar de l’affaire Kounkandé.
A la question de savoir : pourquoi l’affaire Kounkandé fait-elle évènement au Sénégal à telle
enseigne que certains sont prêts à payer le ticket soit pour voyager soit pour assister à
l’évènement de la promesse de Kounkandé de fendre la mer de Soumbédioune en deux le jour
de Tamxarit, afin, dit-il, de faciliter la migration des sénégalais vers l’Europe? Nous pensons
que la réponse est à chercher dans l’état social, intellectuel et psychoaffectif de la société
sénégalaise actuelle.
En effet, cet état social et psychoaffectif a pour origine notre mode de fonctionnement social.
Mode de vie hérité, que nous avons trouvé sur place, qui s’impose à nous, et qui est devenu
une habitude de vie, bref un système social ancré. Autant dire que nous avons des
comportements sociaux (des façons de penser, d’agir, de sentir, d’aimer, de consommer, de
juger, d’apprécier, etc.) et des institutions (des banques, des entreprises, une école, un tissu
économique, un système étatique, une monnaie, des médias, un système familial, des lois, des

pratiques artistiques, une justice, des tribunaux, des institutions sportives, un système de
santé, etc.) qui nous installent dans l’éternel recommencement (condamner à vivre les mêmes
problèmes) et qui, pour ainsi dire, ne sont pas en adéquation avec nos besoins, nos problèmes
et nos valeurs.
Ce mode de fonctionnement, que nous avons hérité depuis la colonisation, et qui n’est pas
ajusté avec les réalités de notre société, explique tous nos problèmes (économiques, sociaux,
politiques, culturels) dans tous les secteurs et tous nos échecs dans tous les domaines, et rend
compte de tous les défauts individuels et collectifs des sénégalais, en particulier ce qu’on
appelle communément l’hypocrisie sociale sénégalaise (De ce que la société nous exige des
résultats sans moyens légitimes pour y accéder, il s’ensuit que les gens empruntent des
moyens détournés pour acquérir leur survie sociale). Et ces problèmes n’ont pas manqué
d’impacter sur l’état psychologique des sénégalais.
« La monstruosité sociologique » est, à vrai dire, le concept approprié pour qualifier l’état
social et mental de la société sénégalaise, en ce sens que non seulement la société a adopté
officiellement des solutions politiques, économiques, sociales et culturelles qui n’ont rien à
voir avec les réalités que les gens vivent, mais surtout ses instances et pratiques traditionnelles
sont à peine arrangées avec les réalités actuelles. C’est pourquoi les institutions sociales au
Sénégal, à l’instar de la famille, l’Etat, l’école, la religion, les organes répressifs d’Etat,
l’administration publique, les banques, etc., semblent représenter plus des contraintes
inappropriées que des solutions convenables aux problèmes des sénégalais. Reste à savoir
quel est le type de produit (humain et social) que pourrait sortir une société qui présente une
discordance terrible entre l’Etat politique et l’état social, entre le gouvernement central et les
groupes partiels, entre les lois et les relations sociales, bref entre ses institutions et les réalités
du milieu.
On peut donner l’exemple de l’hymne national sénégalais qui est composé par Herbert
Pepper, un étranger, avec des sonorités et des instruments qui n’ont rien à voir avec les
sensibilités locales. Cela fait que l’hymne national sénégalais ne fait quasiment pas vibrer les
sénégalais. Ce qui peut constituer un manque émotionnel énorme, dont la non satisfaction
n’est pas exempt de toute sublimation dans d’autres domaines, car les peuples ont besoin de
moments de défoulement et d’effervescence collectif pour vivre et se maintenir. Ce que
l’hymne national sénégalais ainsi que d’autres symboles qui fondent la république du Sénégal
ne permettent pas.
A ces problèmes s’ajoutent des moments de frustration politique, sociale et émotionnelle
parmi lesquels on peut citer la déception des sénégalais à l’issue de la première alternance en
2000 avec Abdoulaye Wade (Léopold Sédar Senghor, le Président poète, promettait : « en
2000, Dakar sera comme Paris »), le retour à l’éternel hier après la seconde alternance en
2012 avec Macky Sall, les frustrations accumulées à l’issue de grandes compétitions
sportives, en particulier la génération de 2000 de l’équipe nationale de Football du Sénégal.
Ces évènements, qui sont, en partie, des conséquences du système social inharmonique hérité
depuis la colonisation, n’ont pas manqué de laisser des séquelles dans la psychologie sociale

des sénégalais, socialement et psychologiquement instable et en manque de lucidité, de
défoulement et d’effervescence collectifs.
Aussi, cette disharmonie sociale est la source de tous les problèmes du Sénégal et explique
tous nos échecs, car elle crée une situation pathologique dans la société et dans l’état
psychoaffectif des sénégalais et, pour ainsi dire, transforme le pays en une monstruosité
sociologique. Cette désorganisation sociale est visible dans toute la société, dans nos manières
de faire (discordance entre institutions, lois et réalités du milieu et indétermination de la
conscience morale. Résultat : personnalité culturelle instable), dans nos manières d’être (l’état
de nos marchés, notre urbanisation, notre décentralisation, notre assainissement, nos
branchements électriques, nos types d’habitation, nos voies de communication, notre réseau
routier, la distribution de la population sur le territoire, la normalisation des clandestinités, à
l’instar du transport irrégulier, des clandos, des jakartas, de l’économie informelle, des
migrations irrégulières, etc.) et dans les courants d’opinion (anomie et transformations
morales à l’origine des phénomènes comme l’homosexualité, les modes vestimentaires osées
des filles, les scènes obscènes dans les téléfilms locaux, les nouveaux types de stars en raison
de l’indétermination des critères d’accès à la notoriété publique, la course au Buzz, le succès
des charlatans, etc.)
Notons cependant que le peuple sénégalais est un grand peuple. Ainsi, malgré qu’il soit
constitué d’individus fabriqués dans une société disharmonique, il conserve un minimum de
stabilité et reste toujours une société où ses membres n’ont pas moins de valeurs et de
croyances en commun, et qui font d’eux une exception de vivre ensemble dans le monde. Cela
fait que – paradoxalement d’ailleurs – le Sénégal est une société à la fois monstrueuse
(disharmonie entre institutions et les réalités du milieu) et miraculeuse (exception de vivre
ensemble malgré l’état discordant du cadre social d’évolution).
Aussi, en observant les comportements des sénégalais, on voit un peuple, non seulement qui
exprime une soif de plaisirs mondains non assouvis, mais aussi une foule psychologique qui
est nostalgique de ses valeurs qui ont fait d’elle un grand peuple. Que deviendrait-il alors si on
lui trouvait des institutions qui soient en harmonie avec les réalités que ses habitants vivent ?
D’après Cheikh Tidiane Sy, le Sénégal est un pays qui a des potentialités exceptionnelles, si
on savait bien l’organiser, on présenterait l’image d’une société très harmonieuse et, pour
ainsi dire, on atteindrait un niveau de développement (politique, économique, social et
culturel) qui dépasse de loin celui de l’Europe et/ou des Etats Unis.
C’est là le sens même du fameux ndepp collectif, qui n’est pas forcément un ndepp mystique,
mais surtout un ndepp comportemental et institutionnel. Toutefois, aussi longtemps que ce
système social demeurera, d’autres Kounkandés vont bientôt resurgir et auront les mêmes ou
des succès plus éclatants que lui au grand abrutissement de la masse.
Puisse Dieu nous en préserver !
Cheikh Tidiane Mbaye, Sociologue – Enseignant-chercheur à l’UVS et à l’UCAB –
Responsable pédagogique CLUB RMS

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