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Grain de sel du sociologue N 9, Sénégal 2021 : terre et TER pour les nobles gens.

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Grain de sel du sociologue N 9
Sénégal 2021 : terre et TER pour les nobles gens.
La dernière semaine de l’année 2021 au Sénégal coïncide avec deux actualités majeures que nous pensons être très liées : l’inauguration du TER (Train express régional) et le refus d’inhumation d’une femme griotte par la caste des geers à Pout Dagne.
Nous estimons que ces deux évènements sont comme une sorte de bilan de la société sénégalaise après 60 ans d’indépendance, de régime démocratique, et des siècles d’islamisation et de christianisation des masses. Ainsi, même si le Sénégal se targue d’être moderne et émergent par des infrastructures de dernière génération (TER et BRT), démocrate par ce que n’ayant jamais connu de coup d’Etat et ayant traversé deux alternances politiques à l’issue d’élections « libres et transparentes », croyant parce que majoritairement composé de musulmans et de chrétiens, la société civile n’a pas beaucoup évolué sur le plan démocratique, de l’égalité des citoyens devant l’accès aux droits socioéconomiques et sur le plan de l’éducation morale et civique en profondeur des masses. A cela s’ajoute un fort taux de citoyens n’ayant pas accès à l’instruction et manquant complètement des choses nécessaires à la vie normale.
Cette situation ne permet pas la libération des mentalités par cela seul qu’elle favorise la persistance de nos croyances anciennes de stratification sociale basée sur l’origine biologique. Ce qui est incompatible avec les principes de la démocratie.
Cela étant, plus l’inégalité du savoir et des conditions économiques demeurent, plus les personnes se vivent et se considèrent comme inégales. Et les personnes en situation de discrimination seront-elles-mêmes complices de leur situation parce que celle-ci finit par être une condition de survie pour elles. Autrement dit, la pauvreté et l’ignorance de masse font qu’au Sénégal, des gens y sont toujours condamnés à vivre dans le larbinisme aigu. C’est l’explication qu’on peut donner de la persistance des castes et autres croyances et pratiques similaires dans ce Sénégal du 21e siècle, officiellement démocratique et majoritairement religieux. C’est aussi sur cette trame qu’il faut inscrire le comportement « des griots de la république » qu’on a noté à l’occasion de l’inauguration du TER.
La preuve, si nous creusons bien sur l’histoire à Pout Dagne, on verra que les griots sont complices de leur situation de discriminés dans cette localité. Sur trois familles de griots dans le hameau en question, seule une famille, qui s’est récemment convertie dans la secte Yalla Yalla, se rebelle. Les deux autres familles griottes semblent être en phase avec cette norme sociale en vigueur dans le village et, pour ainsi dire, les griots et les geers n’ont aucun problème, à en croire nos informateurs. Ils vivent en parfaite harmonie avec les geers et ont des relations pacifiques basées sur des obligations réciproques de maitres et de valets (Géer ak gewelu Juddu).
Aussi, dans le village, il y a deux cimetières : un cimetière commun où on enterre les griots et un cimetière exclusivement réservé aux géers. Et cette situation est acceptée par tout le monde ou du moins par la majorité et n’a jamais choqué dans le village même par les griots qui la subissent.
En vérité, notre société, du fait d’avoir connu des réformes sociales majeures imposées et sans révolution, a changé de forme politique et religieuse sans changer de fond culturel et cultuel. Même si nous avons un régime politique démocratique et des religions révélées à caractère universel et égalitaire, nous pensons et nous nous comportons souvent en ceddo. La société religieuse et la société démocratique n’ont pas réussi à enlever la société ceddo foncièrement inégalitaire et animiste ; Au contraire, elles sont venues se juxtaposer à elle et ont fini par porter son empreinte à tel point que, si nous ne voulions pas nous abuser, nous pourrions dire qu’au Sénégal, nous avons un Islam et une démocratie à connotation ceddo.
Tant il y a que dans nos systèmes juridiques et dans nos morales religieuses, il est stipulé que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits, tant que les conditions d’existences matérielles ne sont pas rapprochées et que l’instruction n’est pas généralisée, les mentalités ne bougeront d’un iota parce que la domination culturelle est fonction de la domination économique. Et réciproquement, la domination culturelle alimente la domination économique parce que les dominés ne feront rien pour changer leur situation. Ce qui est en phase avec le système ceddo de domination et d’inégalités où soit on est maitre soit on est valet en raison de son origine biologique ou de sa situation économique. Après tout, les mentalités des populations changent suivant ce qu’elles sont et suivant ce qu’elles savent.
En ce qui concerne Pout Dagné, malgré les multiples versions que nous avons eu à répertorier, il apparait que les croyances relatives aux castes y sont toujours en vigueur. Ainsi, elles n’ont pas moins influencé le refus des geers de l’enterrement des griots dans leur village.
En conséquence, l’ignorance et le sous-développement économique constituent des facteurs déterminants à l’origine de la persistance des castes.
Ignorance parce que les peuples agissent à l’égard des choses en fonction de leur niveau de connaissance. Si leurs connaissances n’évoluent pas, leurs croyances restent statiques de même que leurs pratiques.
Sous-développement par cela seul que les représentations sociales sont généralement en lien avec les conditions d’existence matérielles des communautés. Aussi, les pratiques coutumières répondent souvent à des besoins vitaux pour les communautés. Pour le cas qui nous concerne, les geers ont peur d’avoir une mauvaise récolte si des griots sont enterrés dans leur village. Ce qui signifie que leur refus est motivé tant par leurs croyances à leur supériorité vis-à-vis des griots, ce que la majeure partie des griots du village semblent accepter, que par un souci de survie puis -qu’elles dépendent toujours de l’agriculture saisonnière pour vivre.
La question qui doit être posée et qui révèle le caractère paradoxal de notre cher Sénégal est la suivante : Comment un pays peut-il se payer le luxe du TER et du BRT, dont le cout, l’efficience, la rentabilité, la pertinence, ainsi que le respect des principes d’équité territoriale et de transparence font toujours débat dans l’espace public, alors que la majeure partie de sa population manque de l’essentiel et peine à sortir de l’économie de subsistance fortement dépendante de la nature (la pluie), avec tout ce que la science et la technologie permettent aujourd’hui ?
Qu’à cela ne tienne, tant que le TER (investissements publics) sera réservé aux nobles gens (Dakar au détriment des régions périphériques), la domination par la terre (puissance foncière, économique et financière) des nobles gens (habitants de Dakar et personnes d’origine favorisées) leur mettra toujours au-dessus des pauvres gens (régions périphériques et personnes d’origine défavorisées). Ainsi, les inégalités socioéconomiques vont toujours exister. Aussi contribueront-elles à ancrer les croyances païennes relatives à la stratification sociale basée sur l’origine biologique.

cheikh Tidiane Mbaye sociologue

Citation de la semaine :
« La concentration des pouvoirs et la servitude individuelle croîtront donc, chez les nations démocratiques, non seulement en proportion de l’égalité, mais en raison de l’ignorance ».
Alexis de Tocqueville

Question de la semaine :
Comment un pays peut-il se payer le luxe du TER et du BRT, dont le cout, l’efficience, la rentabilité, la pertinence, ainsi que le respect des principes d’équité territoriale et de transparence font toujours débat dans l’espace public, alors que la majeure partie de sa population manque de l’essentiel et peine à sortir de l’économie de subsistance fortement dépendante de la nature (la pluie), avec tout ce que la science et la technologie permettent aujourd’hui ?

cheikh Tidiane Mbaye sociologue

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