Chronique du Kankourang
Septembre mandingue à Mbour
Quand survient Septembre, il fait beau à Mbour. Comme par enchantement, les forces de la nature s’accordent et plantent un décor d’une merveilleuse harmonie. Le ciel de la cité ensoleillée resplendit. Entre deux salves de pluie, les nuages éclaircis, sont traversés par des arcs qui reflètent, en spectre, les plus belles couleurs de l’univers. L’air chaud et humide se dissipe dans la brise suave qui s’échappe de l’océan azuré, berceau des sublimes plages de la Petite Côte. La fraicheur s’infiltre dans les larges rues de la ville. Le vent diffuse les palabres interminables d’oisifs amateurs de thé refugiés à l’ombre des arbres plantés, à dessein, aux devantures des vastes maisons.
Au loin, des clameurs s’échappent des poumons de férus de foot qui squattent les tribunes du stade Tata Caro. Ces bruits de saison du championnat populaire ‘’Nawetaane ’’, comme une respiration saccadée, succombent finalement aux douces sonorités qui bruissent dans les ‘’Kounda ’’, ces concessions d’une autre époque, ultimes remparts d’une présence mandingue séculaire dans un cadre d’une urbanité suspecte. En sourdine, le jambadong s’annonce, se répand dans les quartiers Thiocé et Santessou, puis s’empare de la ville toute entière. L’air du temps sent les effluves du Kankourang. Mbour frémit comme une feuille soufflée par le vent, puis s’agite dans ce rythme endiablé de cette musique qui évoque la fameuse ‘’danse des feuilles’’. La ville capitule, ses habitants se livrent sous le charme du masque majeur. Le mythe ne laisse nul indifférent, il est irrésistible et ne cède la vedette à personne. Le ‘’jeumbo-jeumbo’’ l’expression consacrée du jambadong précède la sortie du ‘’kewoulo’’ autre dénomination du Kankourang. Cette danse frénétique et ces chants envoûtants au rythme du ‘’kutiroo ’’ et du ‘’junkuradoo ’’ effacent les douleurs des circoncis qui viennent de passer l’épreuve sanguinolente du couteau rituel. Tant il est vrai que les paillasses des hôpitaux ont supplanté les vieux mortiers dans les fonds desquels venaient se nicher, comme des copeaux, les bouts de derme des ‘’bilakoro ’’.
Quand le Kankourang s’installe sur son trône, les ‘’lël ou jujuwoo’’ qui font office de ‘’bois sacrés’’ sont ressuscités. Socé, le Manding retrouve sa fierté mise en berne depuis des lunes. ‘’Kintang’’, l’initié retrouve sa science utilitaire. ‘’Niansun’’, le fébrile circoncis exhibe son courage en bandoulière. Le vieillard retrouve son autorité et sa sagesse. Mbour la cité cosmopolite bombe le torse et revendique cette valeur universelle inscrite, depuis 2006 par l’Unesco, sur la liste des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité.
Alors que les intrus squattent le cercle naguère fermé des initiés, la foule, en extase mais profane, empeste les étapes de la procession sacrée des initiés qui constituent la garde rapprochée du Kankourang. La perfidie du folklore s’incruste dans la pureté authentique d’un rituel qui a traversé les siècles. L’intemporel Kankourang, dans son manteau ocre de fibre et armé de sa fine machette, résiste aux épreuves de la modernité mais garde toute sa magie qui évoque le paradis mythique.
Madou KANE
Chronique du Kankourang par Madou Kane
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