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Colloque: L’invention des écritures et l’état du narratif en langues africaines par Mamadou KANE

Date:

Académie du Royaume du Maroc
Chaire des littératures et des arts africains
Colloque: L’invention des écritures et l’état du narratif en langues africaines
Auteur: Mamadou KANE
Titre:De l’image au texte : essai de décryptage des medou-netjer, l’écriture hiéroglyphique des anciens égyptiens
Jeudi 19 Janvier 2023, Rabat, Maroc
Propos liminaire
Sa Majesté Mouhammad Nabil Njoya, Sultan des Bamoun
Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc.
Professeur Abderrahmane Tenkoul que j’ai la joie de retrouver un an après une conférence à l’Université EuroMed à Fes. Il y était question de parler du tourisme culturel et religieux dans la quête du vivre ensemble et de spiritualité.
Je suis comblé de participer à l’exaltante mission confiée au magnifique Professeur Eugéne Ebodé qui m’accorde l’honneur de m’adresser à cette auguste assemblée de savants.

De l’image au texte ai-je titré.
Je vais toutefois devoir inverser le propos pour d’abord évoquer la complexité du texte avant de finir par la beauté, voire la magie de l’image.

INTRODUCTION
L’Afrique est riche d’un passé très ancien d’expressions graphiques. Les medou-netjer (mdw nṯr), l’écriture des anciens égyptiens, communément appelées hiéroglyphes, est révélatrice de l’histoire culturelle de l’humanité. De son apparition, quasiment figurative, à ses évolutions ( hiératique, démotique et copte) plus stylisées, elle est porteuse d’une complexité graphique, phonétique et sémantique qui jalonne l’histoire de la civilisation pharaonique, l’une des plus anciennes et sans doute la plus longue de l’histoire universelle.

DE L’IMAGE AU TEXTE
L’écriture égyptienne est héritière des techniques graphiques de la préhistoire. Les gravures (pétroglyphes) de les peintures ( pictogrammes) de l’art pariétal comme celles figurées sur les poteries ont évolué en Égypte avec l’apparition des signes-objets, première étape de l’invention de l’écriture. Ainsi s’est effectué le passage de l’image au mot pour finalement aboutir au texte lors des ultimes étapes du processus d’invention des écritures dont résulte la synthèse de l’alphabet. Comme pour attester que les scribes de la période historique seraient les épigones des plasticiens de la préhistoire correspondant aux trois phases dites Nagada dans l’espace de la vallée du Nil.

HISTORIQUE DES MEDOU NETJER
En effet des représentations de scènes qui annoncent l’écriture figurent sur des vases décorés, sur des parois rocheux et des os
Vers 3600 av.JC, apparaissent sur des rochers du désert de Nubie les premiers signes de l’écriture égyptienne. Cette invention survenue, plus précisément vers 3100 en Nubie et en haute Egypte, est contemporaine du processus d’unification réalisé par le roi Menna, le Menes des Grecs ou Narmer. L’acte politique qui réunit Ta Chemaou et Ta Mehou ( autrement la Haute-Egypte et la Basse-Egypte) pour donner naissance à Tawy (Le Double pays) est affirmé par la palette Narmer et le protocole royal. Une page d’histoire avec des symboles qui constituent les fondements de la préséance du Sud sur le Nord et confirme l’origine de la civilisation égyptienne à partir du sud avant une extension progressive vers le Delta du Nil.
La maîtrise de l’eau et l’aménagement de la vallée du Nil expliquent la pertinence du processus d’unification et la consolidation du pouvoir pharaonique ou plutôt le pouvoir du SARE ( fils de Ré ), par ailleurs NSOU BIT ( roi de Haute et de Basse Égypte) qui sont les titres authentiques attestés par le protocole royal et mis en évidence dans les cartouches (Chenou) royales.
Tel est le contexte qui a prévalu dans ce foyer de production de cette écriture à l’aube de l’ère historique.

CARACTERISTIQUES DES MEDOU NETJER
Au delà de ses caractéristiques artistiques(créativité, originalité, harmonie et esthétique) qui font ressortir le Canon égyptien, et même si une catégorie en l’occurrence les scribes et les prêtres, est initiée à ses secrets, les medou netjer sont une expression encadrée par la collectivité et dans une organisation politique de type théocratique. En effet, symboliquement et selon les croyances, les medou Netjer émanent d’une essence divine. La divinité Thot (Djehouty) en est l’inventeur et son parèdre, la déesse Seshat l’incarnation.
Dans le contexte de Égypte antique, cet art sacré va prospérer dans des espaces essentiellement dévolus aux rituels religieux (temples) et funéraires(pyramides et tombeaux). L’écriture sera également usitée dans divers domaines liés à la vie économique, à la gestion administrative d’un espace régi par la règle de Mâat. Grâce à l’habileté des scribes et usant de différents supports, l’écriture est une œuvre esthétique qui immortalise la substance de la civilisation pharaonique
Tout ceci est loin de l’époque ou l’art serait une coquetterie élitiste, ou une entreprise individuelle qui laisse exprimer une totale liberté et où l’artiste laissé à lui même risque de consumer son être dans une flamme dévorante et enivrante qui donne l’illusion d’un univers onirique ou plutôt d’une bulle évanescente.
Tout compte fait, les medjou netjer ont jalonné l’histoire du peuple de la Vallée de Hapy, ce fleuve Nil qui fera dire à Hérodote que l’Egypte est un don du Nil.
Parlant de cette écriture, il s’agit d’un système complexe de représentation qui démontre la dynamique des innovations qui vont aboutir à l’alphabet qui est une synthèse mais qui n’a jamais été la base de l’écriture.
D’abord, les medou netjer feront la figuration d’objets naturels ou produits par l’homme avec une infinité de signes. Ce sont les signes-mots, idéogrammes exprimant un objet ou une action
On note également les signes phonétiques(phonogrammes) qui demeurent consonantiques, faute de parler à présent la langue ancienne.
Enfin les déterminatifs qui sont des caractères muets exprimant un champs lexical qui désigne une catégorie de termes.
Par ailleurs les lettres se présentent sous forme d’unilitére ( une consonne), de bilitére (deux consonnes), de trilitére (trois consonnes). Cette écriture consonnante par conséquent est difficile à lire. Cependant l’apport des langues africaines apparentées à l’égyptien ancien permettrait d’avancer à propos de l’énoncé phonétique et de la sémantique des mots.

L’évolution a également menée aux formes dérivées qui s’expliquent entre autres par la diversification des supports, les types d’instruments, la réduction du temps de réalisation des écrits. Il s’agit de:
-L’écriture hiératique( cursive) vers 2700av. JC. Elle a prévalu depuis l’Ancien Empire jusqu’à la perte de la souveraineté qui correspond à la 3éme Période intermédiaire.
-l’écriture démotique apparaît seulement à la Basse Époque vers 700 av. JC. Le démotique -une simplification du hiératique est en caractère cursive. Elle est populaire, voire vulgaire, plus démocratique parce que accessible, contrairement à celle sacrée, élitiste et initiatique des medou netjer classiques.
-l’écriture copte est inventée à Alexandrie vers 200 av. JC. Elle est le dernier stade connue de la langue.
Par ailleurs, des liens sont établis avec le méroïtique qui a évolué en Nubie.

STYLES ARTISTIQUES
Le style artistique des medou netjer varie en fonction des supports. Ainsi sur les monuments, les inscriptions sont en relief et en peinture. Ils sont parfois associés au même endroit.
Les techniques de gravures reflètent une diversité (en creux, plat, méplat, relief sur creux, relief).
Les medou netjer peints,sont tracées à l’encre rouge et noire ou colorés selon l’objet représentée ou la symbolique mise en évidence.
Gravés ou peintes les medou netjer dans les temples ou tombeaux sont évidemment plus lentes à réaliser.

SORTIR DE L’OEILLERE DES SOURCES EXTERNES
Considérant qu’il existe d’autres hiéroglyphes qui ne soient les écritures propres aux Égyptiens anciens, la spécification medou netjer apparaît importante pour identifier l’écriture qui correspond à la langue ancienne de l’Égypte et en même temps revoir substantiellement la terminologie utilisée dans les études égyptologiques.
En effet la terminologie égyptologique habituelle est issue des sources externes ou tardives essentiellement gréco-romaines ou arabes et datant des dernières séquences de la longue histoire pharaonique.
Une séquence historique qui va au plus tôt de la troisième période intermédiaire à la période hellénistique et celle romaine en passant par la Basse Époque
Donc à partir de la 3éme Période Intermédiaire, les écritures ont évolué dans un contexte historique qui a vu l’Égypte perdre sa souveraineté politique en dépit d’une résistance culturelle inédite. Une période durant laquelle la vallée du Nil était en proie aux troubles, donc instable ou assujettie aux étrangers, notamment les Assyriens, les Perses, les Grecs, les Romains puis les Arabes successivement. La fermeture des temples égyptiens par l’empereur romain Théodose 1ér à la suite de Constantin II au 4éme siècle après JC sonnait le glas d’une civilisation et plongeait dans l’oubli une écriture qui a survécu près de 3000 ans.
On comprend parfaitement que le phénomène de l’interprétation grecque de l’histoire de Égypte résulte en partie de l’occupation de ce pays par Alexandre le Grand, le fils de Philippe de Macédoine et de ses épigones, les Lagides dont fait partie la célèbre reine Cléopâtre qui portait le titre de Pharaon. D’autre part par les textes des grands auteurs anciens comme Manethon, Hérodote ou Diodore de Sicile pour citer les plus connus.
Le recours aux sources établies par les medou netjer permettra d’épurer un récit teinté d’hellénisme et de romanisme et de rectifier ce que certains appellent une falsification de l’histoire.

Un bref tour d’horizon en guise d’exercice sémantique révèle l’ampleur du phénomène.En effet, la restitution de ce passé est fondamentalement altérée.

Terme usuel Terme en Medou Netjer Signification/Symbole
Égypte (Aegyptos) Ta-wy
Kmt/deshret Deux Terres/Double Pays
Terre noire (limon, vallée)
Terre rouge ( désert)
Haute-Egypte Ta-Chemaou Jonc nsou
Basse-Egypte Ta-Mehou Abeille bit
Nil Hapi Divinité Hapy
Heliopolis On Cité de Ré
Memphis Men Nefer Mur blanc,Cité de Ptah
Hieraconpolis Nekhen Nekhbet (Vautour)
Bouto Ouadjet (Serpent, cobra)
Thebes Wasset La prospère, cité d’Amon
Thot Djehouti Ibis, babouin
Pharaon Nsou-Bit
Saré Sont les deux noms parmi les cinq, entourés par les deux cartouches ( Chenou)
Jonc-Abeille, précède le nom d’intronisation
Fis de Ra ( Enfant du soleil)
Vizir Thiaty Premier ministre
Scribe ss Fonctionnaire lettré
Menes Menna, Menni Roi de l’unification (1er)
Kheops Koufou Grande pyramide
Amenophis Amenhotep
Thoutmosis Thoutmes
Hiéroglyphes Medou Netjer Paroles divines
Pyramide Mr Tombe royale

RUPTURES EPISTEMOLOGIQUES
J’évoquerai deux ruptures épistémologiques liées aux medou netjer qui sont susceptibles d’avancées dans les études égyptologiques qui sous-tendent la narration de l’histoire: le déchiffrement en 1822 et les conclusions du colloque du Caire de 1974.
LE DECHIFFREMENT
Nous sortons de l’An 2022 en ayant en souvenance l’exploit bicentenaire de Jean François Champollion, déchiffreur des medou netjer, l’écriture des Égyptiens anciens.
Le processus du déchiffrement des medou netjer commence à la découverte de la pierre de Rosette en 1799, lors de la campagne de Napoléon en Égypte. Le même texte figurait sur le fragment de stèle en deux langues (Egyptien ancien et grec) et en trois écritures (hiératique, démotique et grec). Les recherches réalisées par Akerblad et Young se concrétisèrent avec Jean François Champollion en 1822.
La prouesse scientifique a donné un second souffle à l’égyptologie, longtemps sevrée de la connaissance directe des sources de l’histoire de l’espace éponyme
Le déchiffrement des medou netjer et le décryptage progressif des textes sont des opportunités de sortir des divagations linguistiques adoubées par la première génération d’égyptologues victimes de la longue période d’oubli qui date de la fermeture des temples et des maisons de vie où se déroulait la formation des scribes et la production de connaissances.
Le déchiffrement-décryptage est censé clore cette obscurantisme qui a longtemps prévalu dans la restitution de l’histoire de l’Égypte Tawy.

COLLOQUE DU CAIRE
Nous profilons vers 2024 pour célébrer le cinquantenaire du fameux colloque international du Caire de 1974, organisé par l’UNESCO sur la demande de Cheikh Anta Diop portant sur: «Le peuplement de l’ Égypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique.»
A cette importante rencontre scientifique, la contribution inégalable des égyptologues africains, Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga, devant les sommités mondiales de l’égyptologie avait permis de faire un constat consigné dans les conclusions du rapport.Pour ce qui est de la langue,résumé ainsi: «Devant l’impossibilité de relier génétiquement l’égyptien ancien, du sémitique et du berbère, il convient d’établir toutes les corrélations possibles entre les langues africaines et l’égyptien ancien.»
Il s’agit là d’une invite à réécrire l’histoire universelle sur des bases plus objectives et de revoir les paradigmes méthodologiques qui ont jusque là présidé aux travaux de recherche relatifs à l’Égypte antique Tawy. Tant il est vrai que la science n’a pas de couleur et qu’elle ne devrait pas avoir comme soubassement un parti-pris idéologique ou une posture discriminatoire qui occulte la vérité purement scientifique.
Par ailleurs, le rapprochement avec les langues africaines, dont la parenté génétique est établie par les travaux de Cheikh Anta Diop entre autres, serait une perspective intéressante aussi bien pour la lecture que pour la compréhension des medou netjer.
Encore que l’énoncé des termes reste problématique dans la mesure où la langue est morte, et que les écritures restent squelettiques ou plutôt consonantiques à défaut de pouvoir lire les voyelles.
Ces deux ruptures épistémologiques,en l’occurrence le déchiffrement des medou netjer en 1822 et les conclusions du colloque de 1974 devraient contribuer à franchir des paliers dans le champs de la recherche en égyptologie. Elles permettent en tous cas de reconsidérer les sources de l’histoire de l’Égypte ancienne en usant des medou netjer et de replacer cette histoire dans son substrat culturel africain. Pour finalement contribuer substantiellement à une narration plus scientifique de la plus vieille civilisation historique.
Il reste beaucoup à faire depuis ces avancées épistémologiques pour une appropriation de l’héritage légué par les anciens et dépoussiérer les interprétations qui ont tendance à sortir Tawy de son giron africain. Les préjugés et le conservatisme restent tenaces, à l’instar de Jean Leclant, illustre égyptologue et académicien français qui disait: «il est difficile de renoncer à deux siècles d’égyptologie» si on était tenté de prendre en compte les thèses de Cheikh Anta Diop qui réorientent les pistes de recherche et prônent le rétablissement de la vérité historique sans aucune complaisance.
C’est aussi sans complaisance qu’on devrait analyser les travaux des égyptologues, y compris ceux du natif de Caytou (Sénégal) au lieu de l’idolâtrer et de fossiliser sa pensée qui reste dynamique.

CONCLUSION
Il convient de retenir le vocable medou nethjer ‘’ paroles divines’’ pour désigner l’écriture des anciens égyptiens pour être en parfait accord avec les habitants de Tawy, le double royaume unifié par le Nsou Bit Menna.
En plus, le processus de l’invention et de l’évolution des medou netjer est en parfaite synchronie avec l’émergence de l’Etat pharaonique, son évolution et le déclin de cette civilisation majeure.
Toutefois le déchiffrement par Jean Francois Champollion et la parenté génétique établie par Cheikh Anta DIOP indiquent des perspectives pour les recherches africaines pour envisager une meilleure compréhension de la langue et de la civilisation des anciens égyptiens.

Pour finir:
Au moment ou les universités et instituts du monde entier foisonnent en Égypte avec leurs programmes et missions de recherche sur l’Egypte ancienne, l’Afrique reste étrangement absente de notre terre-mère Tawy.
Je profite de cette tribune de la prestigieuse Académie du Royaume du Maroc et devant ce parterre de scientifiques représentatif de l’intelligentsia du continent, pour demander solennellement à l’Union africaine et aux instances qui en ont la capacité, de créer une chaire d’égyptologie et d’initier une mission de recherche permanente en Égypte. L’initiative permettra aux chercheurs de nos pays et de la diaspora d’emprunter plus allègrement la voie tracée par Cheikh Anta Diop et lui au moment où il était plus difficile de porter la voix de l’Afrique.

Mamadou KANE
Historien spécialisé en égyptologie
Gestionnaire du Patrimoine culturel

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