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L’avenir du Sénégal face à la crise de l’Islam maraboutique : déclin ou déclic de l’histoire ?

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CLUB RMS-ARTICLE DE LA SEMAINE
L’avenir du Sénégal face à la crise de l’Islam maraboutique :
déclin ou déclic de l’histoire ?
La sociologie dynamique de la société Sénégalaise ne pourrait se faire sans les
confréries, l’ordre socio-politique sénégalais est intrinsèquement lié à l’ordre confrérique. La
primauté de l’Islam confrérique est tellement ancrée que le Sénégalais s’identifie plus par son
appartenance confrérique que par son appartenance nationale ou même musulmane.
Aussi la crise de l’Islam maraboutique ne saurait-elle épargner la société sénégalaise,
tant dans son état de santé actuel que dans son devenir. Elle se vivra avec ses impacts
sociétaux, du fait même que l’État, outre sa congénitale étrangeté et illégitimité vis-à-vis des
citoyens, bascule dans une impasse et une crise relationnelle aigüe avec les citoyens. S’étant
toujours adossé au pouvoir maraboutique pour s’assurer de la docilité des masses et la caution
de ses fautes de gestion, l’État ne manquera de péricliter si ce pouvoir maraboutique qui lui
servait de soupape de sécurité tombe en désuétude.
L’analyse de la crise de l’Islam confrérique manquera de pertinence sans la référence
aux péripéties historiques durant lesquelles le peuple sénégalais a cumulativement souffert de
l’exploitation et de l’oppression des systèmes et régimes successifs, en particulier, la brutalité
des royautés locales dans la gouvernance tyrannique marquée par un mode de production
tributaire des rois qui prélevaient des rentes dans l’exploitation familiale et pillaient au
quotidien leurs sujets, sans oublier la contribution de l’élite maraboutique comme support
idéologique aux pouvoirs publics coloniaux tout comme dans le Sénégal post-indépendant.
Ainsi, la perte de légitimité de l’élite maraboutique peut libérer des énergies
révolutionnaires des masses sénégalaises, dont la patience envers l’État mal aimé était
fonction de leur respect aux guides confrériques, derniers anneaux dans la chaîne de
régulation de la société dont l’ébranlement ne saurait être sans conséquence sur le Sénégal.
L’État sénégalais installé avec une légitimité empruntée, n’a pas su, entre-temps se réconcilier
avec la société civile pour une gouvernance directe et endogène. Il s’est contenté de
poursuivre la logique colonialiste de gouvernance indirecte, avec l’appui maraboutique dans
une relation clientéliste.
Cette situation semble renforcer aujourd’hui la relation problématique entre l’État et la
société civile. La prospérité populaire de l’élite dirigeante semble hypothéquée. La justice,
injuste, aux yeux de l’opinion publique, rompant la confiance entre l’État et la société, avec la
perte de plus en plus remarquée de la légitimité maraboutique contre toute révolte populaire.
L’alliance pouvoir public et pouvoir maraboutique assise au détriment des citoyens dans ce
qu’il est convenu d’appeler le contrat social sénégalais, semble s’effriter. C’est comme le dit
Alexis De Tocqueville : « la religion ne saurait donc partager la force matérielle des
gouvernants, sans se charger d’une partie des haines qu’ils font naître.» Ainsi intervient la
rupture du contrat social sénégalais dont la conséquence immédiate sur la société est l’anomie
politico-juridique et morale. Cette situation n’épargnera aucun domaine d’activité car, comme
le dit Émile DURKHEIM,
Comme rien ne contient les forces en présence et ne leur assigne
de bornes qu’elles soient tenues de respecter, elles tendent à se
développer sans termes, et viennent se heurter les unes contre les autres
pour se refouler et se réduire mutuellement. Sans doute, les plus
intenses parviennent bien à écraser les plus faibles ou à se les
subordonner. Mais si le vaincu peut se résigner pour un temps à une
subordination qu’il est contraint de subir, il ne la consent pas, et, par
conséquent, elle ne saurait constituer un équilibre stable. Des trêves
imposées par la violence ne sont jamais que provisoires et ne pacifient
pas les esprits. Les passions humaines ne s’arrêtent que devant une
puissance morale qu’elles respectent. Si toute autorité de ce genre fait
défaut, c’est la loi du plus fort qui règne, et, latent ou aigu, l’état de
guerre est nécessairement chronique.
En revanche, la rupture du contrat social Sénégalais, qui dépossède de la société toute
autorité morale pour modérer la guerre entre les hommes, peut, paradoxalement, avoir une
double conséquence sur l’avenir de la société sénégalaise. Elle peut être à la fois un facteur de
déclin d’une histoire, avec une société politico-maraboutique sur la voie de la sortie et une
autre société de remplacement. La rupture du contrat social sénégalais en vue est source, tant
de déclin que de déclic de l’histoire, du fait de la remise en cause de l’ordre présent aussi bien
sur le plan moral, politique et social, mais aussi de libération des facteurs idéologiques
bloquants.
Toute stabilité sociale tenant, comme le soutient Alexis De Tocqueville, de la
légitimité des liens politiques et moraux entre la société et sa classe dirigeante politicoreligieuse, le chaos semble inévitable. «Comment la société pourrait-elle manquer de périr si,
tandis que le lien politique se relâche, le lien moral ne se resserrait pas ? Et que faire d’un
peuple maître de lui-même, s’il n’est pas soumis à Dieu ? »
Dans une société politique, dont les tenants sont dépositaires d’une légitimité
empruntée au point qu’ils ne peuvent régner sur le peuple qu’en s’alliant les pouvoirs
religieux, l’État ne saurait manquer de périr, si la société maraboutique décline. Heureusement
que la sortie de la classe maraboutique n’est pas synonyme de déclin ni de l’Islam, encore
moins de l’Islam confrérique au Sénégal. Et la société a su aussi garder un minimum de
stabilité, malgré la rupture du contrat social, grâce à la solidité des relations communautaires
en vertu du brassage culturel et ethnique qui s’est constitué au cours de l’histoire.
La crise de l’Islam confrérique s’applique à sa classe dirigeante et pourrait constituer
un facteur de déclic d’une histoire qui s’ouvre, d’une société qui décline et d’une nouvelle qui
s’annonce, parce que l’être humain ne saurait se passer de dépendance pour vivre en sécurité
du point de vue social et psychologique. La nature ayant horreur du vide, la remise en cause
d’une société détestable annonce naturellement une société à venir et d’une histoire qui
s’ouvre grâce à une masse résolue qui perd progressivement tout sentiment d’obéissance à
l’ordre sortant. Mais encore, quel serait le contrat social entrant ? Quels en seraient les
facteurs déterminants ?
Docteur Cheikh Tidiane MBAYE
Enseignant-chercheur à l’UVS
Sociologue, spécialiste en sociologie des religions
Responsable pédagogique du Club RM

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