La dernière semaine de l’année 2021 au Sénégal coïncide avec deux actualités majeures que nous estimons étroitement liées : l’inauguration du TER (Train express régional) et le refus d’inhumation d’une femme griotte par la caste des géer à Pout Dagné.
Ces deux évènements semblent être un révélateur du bilan démocratique, social, économique, culturel et moral de la société sénégalaise après 63 ans d’indépendance, de régime démocratique, et de siècles d’islamisation et de christianisation des masses.
Malgré la prétention du Sénégal à être moderne et émergent avec des infrastructures de pointe comme le TER et le BRT, démocratique du fait de l’absence de coups d’État et des alternances politiques, et croyant en raison de sa majorité musulmane et chrétienne, la société civile n’a pas significativement progressé sur le plan démocratique, de l’égalité des citoyens dans l’accès aux droits socioéconomiques, ni sur le plan de l’éducation morale et civique approfondie des masses. Le nombre élevé de citoyens privés d’accès à l’éducation et aux nécessités élémentaires de la vie ne fait qu’aggraver cette situation.
Cette réalité entrave la transformation des mentalités en empêchant l’élimination de nos croyances discriminatoires ancestrales basées sur l’origine biologique, incompatibles avec les principes de la démocratie.
L’inégalité de l’accès à l’éducation et aux ressources économiques maintient les individus dans un sentiment d’inégalité et de soumission. Les personnes discriminées sont souvent complices de leur propre situation, la considérant comme une condition de survie. Par conséquent, la pauvreté et l’ignorance perpétuent la servitude dans laquelle certaines populations au Sénégal sont condamnées à vivre.
Dans cette société, les changements de forme politique et religieuse n’ont pas réussi à altérer les structures culturelles et cultuelles existantes. La domination économique façonne la domination culturelle et vice versa, ce qui correspond au système ceddo de domination et d’inégalités, où la naissance ou la situation économique déterminent le statut. Les mentalités évoluent en fonction des connaissances et des conditions matérielles.
Concernant Pout Dagné[1], malgré les variations de récits, les croyances liées aux castes demeurent influentes et ont joué un rôle dans le refus des géer d’inhumer les griots dans leur village.
L’ignorance et le sous-développement économique sont les facteurs clés du maintien de croyances discriminatoires basées sur l’origine biologique. Les représentations sociales sont intimement liées aux conditions matérielles et les coutumes répondent aux besoins essentiels des communautés.
La question qui doit être posée et qui révèle le caractère paradoxal du Sénégal est la suivante : Comment un pays peut-il se payer le luxe du Train Express Régional (TER) et du Bus Rapid Transit (BRT), deux infrastructures dont le coût, l’efficience, la rentabilité, la pertinence, ainsi que le respect des principes d’équité territoriale et de transparence font toujours débat dans l’espace public. Une invraisemblance au moment où le gros de la population manque du minimum vital et peine à sortir de l’économie de subsistance fortement dépendante de la nature (pluie), malgré les opportunités qu’offrent la science et la technologie.
Le paradoxe persiste : le Sénégal investit dans des infrastructures coûteuses tout en négligeant les besoins essentiels d’une grande partie de sa population. Tant que les investissements publics favoriseront les élites (Dakar au détriment des régions périphériques), les inégalités subsisteront, nourrissant les croyances païennes relatives à la stratification sociale basée sur l’origine biologique.
Docteur Cheikh Tidiane MBAYE,
Sociologue et enseignant vacataire à l’UCAD (Université Cheikh Anta Diop de Dakar) et à l’UCAB (Université Cheikh Ahmadou Bamba de Fass Mbao)
[1] Village de la commune de Notto dans le département de Thiès