La jalousie chez les hommes ne date pas d’aujourd’hui. En effet, dans la Bible, le livre de la Genèse au chapitre 4, Caïn est jaloux d’Abel sans chercher à comprendre, il ne demande pas à Dieu qu’il s’explique de son choix, mais voit que son frère reçoit quelque chose que lui n’a pas. Il en existe beaucoup d’autres histoires semblables dans la Bible, mais aussi dans le Coran. Cheikh al-islam, un érudit musulman, soutenait qu’ « aucun humain n’est complètement exempt de la jalousie. Mais le généreux la cache et le méchant la laisse apparaître. Et ceci, du point de vue religieux, conforte l’idée selon laquelle l’humanité et la jalousie sont nées ensemble.
La jalousie a occasionné de grands bouleversements dans le monde et continue de le bouleverser. L’histoire politique des nations, allant de la Grèce antique aux Etats actuels en passant par l’empire romain et les royaumes africains, est témoin de plusieurs conflits dont l’origine est la jalousie. Nous avons comme exemples : la guerre fratricide entre Remus et Romulus ; la deuxième guerre mondiale, ….
Nous conviendrons avec Cheikh al-islam que la jalousie n’épargne aucune nation ou aucun peuple. Cependant, dans nos sociétés africaines en général et plus particulièrement celles sénégalaises, elle a atteint une dimension hors-pair; surtout s’agissant de la jalousie socio-économique. Certains sont capables de pratiques viles justes parce que l’autre a plus de biens ou une fonction plus reluisante que la leur. Et pourtant, les sociétés sénégalaises, dans leur majorité, étaient configurées de telle sorte que l’homogénéité et l’égalité étaient la norme. Tous étaient semblables les uns aux autres de par leurs façons de paraître, de penser et de faire. Des valeurs acquises par une socialisation.
Mais la colonisation a été le facteur prépondérant du bouleversement de l’ordre social dans les sociétés sénégalaises. En effet, pour mieux assoir sa domination, le colon s’est donné un malin plaisir de diviser les peuples par la création de villes où les populations ont d’office la citoyenneté française et le reste considérées comme des indigènes. Il créé ainsi des privilégiés et des laissés pour compte. Ces privilégiés sont ceux-là qui sont recrutés par le blanc pour l’aider dans l’administration de la colonie. Il s’agit du valet, de l’interprète, du collecteur d’impôts et même de la cuisinière et de la femme de chambre. Ce sont ceux-là qui renseignent l’employeur des réalités du milieu mais aussi fournissent des informations sur chacun des membres de la communauté. En retour, ils profitaient des restes du patron (denrées alimentaires et vêtements), s’habiller et s’exprimer comme lui. Compte tenu de ce qu’ils gagnent grâce à leur proximité avec le colon, ils sont exemptés des activités agricoles, mécaniques ou autres relevant du secteur primaire: une nouvelle classe sociale voit le jour. C’est dans ce sens que Jean-Loup Amselle et Elikia M’bokolo dans leur œuvre Au cœur de l’ethnie soutiennent que les ethnies sont une création du colon.
Les membres de cette nouvelle classe même s’ils étaient souvent considérés comme des traitres par les autres, sont aussi sournoisement enviés à cause d’une protection sociale dont ils sont garantis. Celle-ci devient alors une classe d’élites. Cette situation s’est ainsi imposées et perdure jusqu’à nos jours. Des familles se sont déchirées à cause de cela. Des frères ou des sœurs se vouent une haine viscérale car l’un est fonctionnaire et l’autre s’active dans le secteur primaire ; l’une à un époux qui est un agent de l’administration et l’autre un époux qui est dans le secteur informel. La société donne plus de considération à celui qui a eu la chance d’avoir « un bon emploi » dans le milieu professionnel.
En définitive, cela nous permet de déterminer l’ampleur du dommage intellectuel subi à travers le système colonial. Nous sommes gagnés par une cécité intellectuelle au point de considérer moins valorisant les activités autres que celles socio-professionnelles. Nous nous laissons emporter par je ne sais quel jeu discriminatoire dans la valorisation des différentes activités. Si l’artisanat manque de valeur, pourquoi sollicitons-nous le maçon, le tailleur, le mécanicien ou le bucheron pour des services ? Comment nous approvisionner en denrées s’il n’y a pas d’agriculteurs, d’éleveurs ou de commerçants ? Il faut se convaincre que tout travail est valorisant. « Il n’y a pas de sous métiers » entendons-nous souvent. C’est à l’Etat qu’il revient de sensibiliser les populations pour qu’elles soient conscientes que tous les métiers se valent et ils sont tous complémentaires. Il doit aussi à travers des orientations politiques efficaces promouvoir et valoriser toute activité socio-économique et inciter les populations à l’entreprenariat. Nous sommes convaincus que c’est la solution pour accéder au plein emploi.
Frédéric Joël Naudin Coly
Instituteur dans l’IEF de Kolda
Etudiant en Sociologie à l’UFC de l’UNCHK