Le paradoxe du néo féminisme : entre émancipation et contradictions.
Il est des combats qui transcendent les divergences d’opinions et appellent à l’unité. La lutte contre les abus sexuels et le viol en fait partie. C’est une cause noble, urgente et vitale. Une cause qui, dans le tumulte de nos sociétés, exige de la fermeté, de la clarté et de la dignité. Porter la voix des victimes, exiger justice et sensibiliser les consciences sont des démarches aussi louables qu’essentielles.
Cependant, la noblesse d’une cause ne saurait justifier tous les moyens. L’idée de manifester nues, bien qu’elle puisse se vouloir un acte symbolique fort, semble en rupture totale avec les valeurs et les principes de notre société. Au Sénégal, nos mœurs sont imprégnées de pudeur, de respect et de dignité. Ce sont ces mêmes valeurs qui doivent guider nos combats, surtout lorsqu’il s’agit de dénoncer des actes qui, eux, bafouent cette dignité.
Manifester nues risque de détourner l’attention du fond du problème. Les regards ne se fixeront plus sur la gravité du message, mais sur la forme qu’il emprunte. Ce serait offrir à l’opinion publique un prétexte pour critiquer la méthode, plutôt que pour se pencher sur l’essentiel : la souffrance des victimes et l’impunité des coupables. L’émotion du public se portera sur la « scène » au lieu de la « cause ».
Il ne s’agit pas de brimer la liberté d’expression, mais de rappeler que la finalité de tout combat est de convaincre, et non de choquer. Une voix posée, forte et digne retentit plus longtemps qu’un cri de révolte confus. La véritable révolution des consciences se fait par la pertinence du discours, la justesse des moyens et l’exemple de la dignité.
Si la cause est noble, que le chemin pour y arriver le soit tout autant. Il ne faut pas se perdre dans le spectaculaire au risque de perdre la force du message. Le viol et les abus sexuels sont des crimes odieux, mais ce n’est pas en exposant nos corps qu’on leur opposera la meilleure des résistances. Nos paroles, nos plaidoyers et notre intransigeance face à l’injustice peuvent suffire à faire plier le silence complice. L’essentiel, c’est d’être entendues, pas seulement vues.
Il fut un temps où le féminisme portait haut le flambeau de la justice et de l’égalité. Un féminisme noble, clair dans ses objectifs et cohérent dans ses moyens. Il s’agissait de libérer la femme des chaînes invisibles de l’injustice sociale, de lui permettre d’accéder à l’éducation, au travail et à la dignité. Ce féminisme-là était un cri de vérité, une quête d’équilibre et de respect.
Mais aujourd’hui, une forme de « néo-féminisme » a émergé, bruyante mais confuse, spectaculaire mais creuse. Sous couvert de libération, on assiste parfois à une auto-objectification de la femme, une mise en scène de son propre corps comme outil de revendication. Ces mêmes femmes qui dénoncent l’hypersexualisation dans les médias ou les regards oppressants dans la rue finissent, paradoxalement, par s’exposer elles-mêmes au cœur du spectacle. Comment dénoncer ce qu’on alimente soi-même ? Comment exiger le respect tout en posant les bases du contraire ?
Cette incohérence ne rend pas justice aux véritables luttes féminines. Au lieu de réhabiliter la femme, elle la réduit à son apparence, alors que le combat doit se mener sur le terrain de l’intellect, de la compétence et de la valeur humaine. La femme ne devrait pas avoir à se dénuder pour être écoutée, ni à crier plus fort que les autres pour se faire entendre. La dignité d’une cause ne se mesure pas au bruit qu’elle fait, mais à la profondeur de son impact.
Ce « néo-féminisme » se veut libérateur, mais il enferme. Il prétend vouloir l’égalité, mais cultive la division. Il prône la force, mais use de méthodes qui suscitent la pitié ou la controverse. Un féminisme efficace ne devrait pas chercher à opposer les genres, mais à harmoniser les rapports. Ce n’est pas en s’attaquant aux hommes qu’on élève les femmes. Ce n’est pas en se victimisant qu’on prouve sa force.
Il est temps de revenir à un féminisme de raison, de dignité et de constance. Un féminisme qui ne trahit pas ses propres valeurs. Car le véritable pouvoir des femmes ne réside ni dans la provocation ni dans l’exhibition, mais dans leur capacité à s’imposer par leur intelligence, leur talent et leur humanité. Le monde n’a pas besoin de plus de bruit, mais de plus de clarté. Et les combats les plus puissants sont ceux qui se mènent avec sagesse, cohérence et détermination.
Ndeye Seynabou Gueye